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ma vie dans le Perche
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Propos sur la
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vendredi 9 juin 2006 | jour précédent | jour suivant | retour au menu |
La première et la dernière phrases du livre le Chevron de Pierre Bergounioux. C'est quoi un chevron ? Ce qui est défini dans le dictionnaire, ? Non, pas chez bergounioux. C'est dit dans la première phrase : " Le trait saillant de notre expérience, c'est le chevron adouci, d'élévation médiocre, que le département répète à l'infini." C'est la première phrase. Comme d'habitude chez Bergounioux, une claque, un coup de marteau sur une enclume. Fin du 1er paragraphe : "...on est en Corrèze." Bon, je relis. Bergounioux est un chasseur ascétique et rude, ne fait jamais de concession dans ses textes, faut faire attention à ce qu'il écrit. Y'a jamais rien de gratuit chez lui. Tout est cher payé. C'est ce que l'expérience nous apprend non ? C'est le sixième mot de la première phrase du livre. 1 - Le trait saillant de notre expérience... Saillant : quand il s'agit d'un animal, saillant veut dire qu'il est effaré, qu'il se dresse sur ses pattes de derrière, comme pour sauter. Appliqué à l'animal que nous sommes aussi, l'homme aurait donc peur. De quoi ? de la vie, de sa vie, de la mort. Il peut hésiter à sauter en effet, dans le vide, dans le néant, se supprimer, se suicider. Dans toute l'oeuvre de Bergounioux, cette hésitation, cette tentation, cette possibilité sont toujours présentes ou latentes.. Saillant c'est du Bergounioux : tout en relief, en saillie... en relief, c'est bien tout le problème du chevron. Car saillant contient son double, son négatif, son revers : indique qu'il y a aussi le bas, ce qui est en dessous. Le chevron avec son devers et son revers, est décourageant, fatiguant, affligeant...contrariant ( " il n'y a guère qu'un mot pour contenir l'expérience du paysage c'est la contrariété." p. 20). Bergounioux enfonce le clou. (" Vivre est sans agrément ni perspective." p.55) (" 0n ne connaît pas vraiment la paix " p. 46. ) Il s'agit d'un "marché de dupe " (p9). Que faire ? " Rêver, plutôt que recommencer pour rien, cette fatigue stérile, cette réalité." (p.55) Le trait saillant de notre expérience, c'est donc celui qui dépasse les autres, qui apparaît nettement, qui est mis en valeur, celui qui reste, qui dépasse, qui s'avance, qui s'élève, qui se met en relief. On est bien aussi dans un paysage, dans la géographie...On sait tous que la Corrèze ce n'est pas la platitude de la Beauce. (Y'a qu'une chose qui saille en Beauce : la Cathédrale de Chartres !) Cette première phrase est une véritable entame, la première carte jouée dans une partie, qui sera rude, pour Bergounioux à écrire, pour le lecteur à lire. Car ce qu'est ce texte est aussi l'expérience du chevron, qui va vite devenir allégorique, symbolique, la figure de la vie, mais aussi la réalité vraie du chevron, en Corrèze... On monte, espérant qu'en haut on aura de l'air frais, le grand panorama ouvert sur l'infini, la récompense de l'effort fait pour s'élever. Et puis non : en haut on ne voit rien, il y a toujours encore quelque chose pour vous cacher la vue. Alors on redescend, et l'on va s'enfoncer les pieds dans la combe (la tombe ?), dans la tourbe, où l'on " gauille ". Lire Le chevron c'est vivre cette expérience. Il y a dans l'affirmation primitive une force épouvantable. Elle ne dit pas : le trait saillant de l'expérience, elle précise bien : le trait saillant de notre expérience, la notre, nous humains, pas d'échappatoire possible pour le lecteur. Comme souvent le texte de Bergounioux est à la fois l'enclume et le marteau. Le texte est l'enclume, ce qui reçoit le choc, Bergounioux est le marteau, sans maître, qui cent fois remet son ouvrage sur l'enclume, cherchant à donner une nouvelle forme. On sait que Bergounioux sculpte et qu'il peine (cf ses notes récentes). Chaque phrase est un coup de marteau sur le texte chauffé à blanc. 2-..., c'est le chevron adouci,... Ça peut sembler contradictoire, mais ça ne l'est pas. Ça peut aussi sembler vouloir rassurer le lecteur : allez...viens en gravir un avec moi...je t'emmène, ce n'est pas si terrible... Si ça l'est. L'adjectif n'adoucit pas la peine, il la précise et l'augmente car la pente du chevron à gravir n'est pas rude, le chevron n'est pas un abrupt, une falaise. C'est une forme adoucie : l'effort pour y accéder est donc une torture, une ascension à petit feu, la pire. ( "On s'est donné du mouvement, de la peine [..;] On est en nage. On a le coeur plein de tumulte . [...]... au coeur de l'essoufflement." p.8). Au bout de cet adouci la déception et la sensation d'inutilité n'en seront que plus grands ( " Ce qu'on a fait n'a servi à rien. On a cédé quelque chose, renoncé au repos et l'on a rien obtenu. C'est pareil. On ne voit pas plus loin. On a perdu son temps." p.9). L'espoir qui portait l'ascension n'était qu'un baume, un leurre. 3- ..., d'élévation médiocre,...Précision vengeresse et rageuse. Coup de marteau sur l'enclume, mise au point révoltée, jugement de résistance à la peine. Un chevron, ce n'est même pas haut ! 4-..., que le département répète à l'infini. Le grand mot est lâché : l'infini. Pas d'espoir, c'est infini. Ce qui suit un chevron c'est la combe qui mène au chevron suivant. On ne peut pas espérer. On ne peut que rêver. Pauvre homme. Ce département, où Bergounioux est né, est la condamnation de l'origine, le péché originel. Fin du premier paragraphe : la chose est dite : on est en Corrèze. On croit entendre en enfer, terre de Sisyphe... On peut se demander comment survivre . Bergounioux le dit : en rêvant. Toute son oeuvre ajoute : en travaillant, en étudiant, en écrivant, en sculptant, en pêchant, en lisant, etc... Ce n'est pas parce que les chevrons de la vie sont désespérant qu'il faut désespérer. Il faut vivre ce désespoir c'est tout. Ce n'est pas désespérant que savoir que c'est désespéré. Il y a une route à parcourir, chacun la notre. La dernière phrase du texte (p.57), est une très belle chute mais qui ne fait que relancer la partie. On reste dans l'éternel recommencement. " Rarement, j'ai eu plus agréable de fouler l'asphalte d'une route, qui mène quelque part. Une fenêtre éclairée, dans le premier hameau traversé, m'a paru miraculeuse et tout le bonheur, pour le coup, se trouvait dans la chambre, à l'abri des choses, où je pouvais dormir, me procurer l'oubli, le repos. " les mots agréable, miraculeux, bonheur, repos sont rares chez Bergounioux. Bergounioux, et c'est un point de partage avec lui, n'est pas un homme du genre à se reposer, ni à roucouler de bonheur. Sans cesse en activité, il ne se repose d'habitude que quand il est malade, exténué, ou abattu, mort de fatigue, ou au bord de l'ultime tentation, en perpétuel retard sur sa fuite, ce qui explique que l'on continue et que l'on va jusqu'au bout. Chez Bergounioux, il peut arriver quand même, comme dans les tableaux de Magritte, qu'il y ait une fenêtre éclairée, et faire semblant de croire un instant que la route mène " quelque part". La pause est en général très courte. On attaque le chevron suivant. C'est peut-être ainsi qu'on devient chevronné. |
Note au lecteur : cette page prendra place bientôt dans la rubrique " Études et textes inutiles " qui s'ajoutera bientôt à côté de " Cantonales, Thironades et chambries " qui figure depuis quelques jours dans le bandeau du journal de Thiron-Gardais. |