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dimanche 16 septembre 2007 | jour précédent | jour suivant | retour au menu |
Vous avez dit patrimoine ? Montigny-sur-Avre. Montigny-sur-Avre, sur la carte, c'est un petit village eurélien, pour ne pas dire patelin, situé à l'écart de la route entre Verneuil et Tillières-sur-Avre, quand on remonte sur Paris en direction de Dreux. Il doit avoir aujourd'hui 275 âmes, et tout y est mort. Les deux cafés sont fermés depuis belle lurette, il n'y a plus aucune épicerie, bureau de tabac ou commerces, et même l'école est fermée. Et c'est là que ça me touche, que cela nous touche, puisque ma vieille mère était avec moi. Car Montigny sur Avre, avec Bérou la Mulotière à 4 km, c'est mon Illiers-Combray à moi. C'est là que je vivais enfermé avec mes frères et mes parents dans les cours de récréation vides, alors que les autres allaient dans les bois dénicher les nids de coucou. Ma mère y était institutrice, mon père travaillait comme chauffeur de camion chez Rabartin, et servait aussi de secrétaire de mairie. C'est là que je jouais aux petits coureurs, que je regardais les chardonnerets dans les tilleuls, et que je m'emmerdais à mourir, en attendant que ça passe. C'est l'époque où je croyais encore, cas à part, ou privilège hérité d'on ne sait quoi, que je ne mourrais jamais. C'était en 1957 et 1958. J'avais 7 ou 8 ans. - Juste 50 ans, a dit ma mère, ce que le temps passe vite ! La vie du village était réglée par une trilogie sacrée de " gens bien " : le maire (Monsieur Cauchy), le curé (l'Abbé Lambert), et l'institutrice (ma mère), liguée contre celui qui jouait le rôle du diable, Menguy, le tenancier du grand café situé juste en face du porche de l'école, lieu de perdition forcément où l'on pouvait tout faire y compris s'y faire couper les cheveux , l'enfer local, et qu'on appelait tout simplement chez Menguy. Bon dieu que ce château m'a fait rêver, ne l'ayant toujours vu que de loin. On racontait qu'il y avait une orangerie, avec des orangers qu'on sortait l'été et qu'on rentrait l'hiver (des oranges poussaient à Montigny sur Avre !). Et puis que faisaient-ils tous les trois le soir dans ces dizaines de pièces immenses ? Je n'en avais, jusqu'à aujourd'hui qu'une vieille carte postale, de celles que l'on colorait artificiellement, et qui plus est, ne donnait pas une idée fidèle de la propriété. Mais ce qui me faisait rêver le plus, c'était une allée du parc du château, ouverte au public, longeant la rivière l'Avre, au bord de laquelle se tenait une petite tour délabrée, et où je m'imaginais vivre un jour, dans la pièce du haut, et que l'on appelait la Tour grise. C'est là que l'abbé Lambert nous emmenait quand il nous accordait une récréation au catéchisme, pour nous y entraîner à faire des ricochets. Aujourd'hui cette somptueuse allée ombragée est à l'abandon, ayant beaucoup souffert de la célèbre tempête de l'hiver 99, et la tour n'existe plus. Aujourd'hui l'Abbé Lambert, personnalité hors norme et qui m'a laissé de grands souvenirs, est mort et une des rues principales du village porte son nom. Ironie de l'histoire, vu que de son vivant, tout le monde le craignait tout en se moquant de lui, de sa vieille soutane, de sa vieille 2 CV et de sa vieille gouvernante qu'on appelait sœur Mauricette. Aujourd'hui Montigny sur Avre est célèbre dans le monde comme le lieu de naissance de François de Montmorency-Laval. Né le 30 avril 1623 à Montigny-sur-Avre, il fut le premier évêque du Québec, et y finit, avec l'autorisation de Louis XIV, sa vie. C'était un drôle de bonhomme, capable de parcourir en canot, à pied, en raquettes son vaste diocèse qui s'étendait des rives du fleuve Saint-Laurent et de l'Acadie jusqu'au Mississippi, pour visiter les gens chez eux, tout en faisant attention aux Amérindiens dont il a défendu la dignité en combattant les commerçants qui font le trafic d'alcool (eau-de-vie) pour faire boire les indiens . Il a donné là-bas le nom de la ville de Laval, celui de l'Université dont il est le fondateur et celui de l'hôpital, et ceux qui connaissent le Québec savent qu'il y est encore vénéré et honoré. Il a été béatifié par Jean Paul II en 1980. C'est pas tous les jours qu'un patelin d'Eure et Loir donne un saint ! Aujourd'hui je suis allé avec ma mère faire une promenade, genre pélérinage, il faisait si beau, à Montigny et à Bérou la Mulotière, et journée du patrimoine oblige, avons visité le château de Montigny. Aujourd'hui le château de Montigny-sur-Avre n'est plus en ruine ni délabré. Classé Monument historique, possédé par la famille De La Bourdonnaye, il héberge un gîte de qualité, une ferme équestre tenu par la fille des propriétaires, Aude de la Bourdonnaye, Lieu de réception qui propose tous ses servives sur Internet. Je laisse découvrir les prix. Aujourd'hui, on aurait pu jouer au jeu des sept familles, le père, la mère et toutes les filles de la Bourdonnaye étaient là, faisant simplement mais efficacement et aimablement la visite. L'ensemble des restaurations effectuées depuis une vingtaine d'années a porté ses fruits. J'aime les briques rouges. Le batiment de gauche est impressionnant par ses fenêtres à la Mansard. La cuisine en l'état, seule pièce que l'on visitera, y est très sympa. On y imagine bien, autour de la grande table en bois, assis sur un banc, des soirées avec des amis autour de l'immense cheminée et du four à pain. Le genre d'endroit où l'on peut refaire le monde toute une nuit. On n'a pas construit le château au bord de l'Avre. On a déplacé la rivière après pour qu'elle longe le château et alimente ses douves. À l'époque on ne s'emmerdait pas avec les écolos du coin. Je passe sur le potager, la ferme, le parc/vallée, l'orangerie... J'apprends d'ailleurs qu'après la guerre (le château fut réquisitionné par les allemands), on n'a plus chauffé les serres pendant l'hiver et qu'il n'y a plus d'orangers depuis belle lurette. Aujourd'hui Il faudrait écrire l'histoire de ce château. Les chaînes et les poids ne me font pas oublier, comme disait Balzac, que toute fortune est basée sur un crime. Mais ceci est une autre histoire bien sûr. |