Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
jour précédent vendredi 18 avril 2008 jour suivant retour au menu
La vérité ne sort pas de la bouche des enfants,
Elle sort d'un puits.

La Vérité sortant d'un puits est un tableau d'Édouard Debat-Ponsan, daté de 1898, peintre emblématique de la IIIè République, tableau connu dans le monde entier comme l'icône et le manifeste des défenseurs d'Alfred Dreyfus.
En effet Edouard Debat-Ponsan, toulousain, en rupture avec son milieu familial (riche en musiciens depuis le XVIIIè siècle) anti-dreyfusard, offrira ce tableau, grâce à une souscription, (intitulé aussi Nec mergitur) à Emile Zola, en soutien à son combat pour défendre Dreyfus.
(Pour la petite histoire, et c'est tout ce que je dirai de lui, le reste est partout, Édouard Debat-Ponsan aura une fille, Jeanne Debat-Ponsan, qui sera plus tard l'épouse du Professeur Robert Debré, et mère de Michel Debré !)
Il ne se doutait pas à ce moment-là combien, ce tableau deviendrait, encore aujourd'hui, le symbole (pour ne pas dire l'image passe-partout et " bateau ") de la recherche de la Vérité (voir encore récemment un blog célèbre).
Il est aujourd'hui au musée de l’Hôtel de ville d’Amboise, (dépôt du musée d’Orsay), musée qui présente l'originalité d'être ouvert qu'en été, sauf les samedis, réservés aux mariages ! La présence de ce tableau dans cette ville s'explique car bien que d'origine toulousaine, on l'a déjà dit, (Le Capitole en possède de nombreuses peintures dans sa salle du Conseil Municipal et sa salle dite "des Illustres") le peintre, monté à Paris, affirmait souvent son amour de la Touraine, dont il appréciait particulièrement la lumière.
Entre nous, je veux bien siéger au Conseil Municipal de Toulouse en face de ces deux folles, je veux dire ces deux rivières, L'Ariège et la Garonne ! Vive les allégories !
On ne dira jamais assez la richesse de nos musées de province ! Mais revenons à notre Vérité et à son puits.
La vérité n'est pas là toute nue sur le tableau. Des hommes cherchent non seulement à l'habiller (cachez ce sexe que je ne saurais voir !), mais à la remettre là d'où elle vient : cachée au fond du puits d'où elle tente de sortir pour faire éclater les preuves qu'elle tend au bout de son bras (dans son miroir).
On comprend l'expression argotique badigeonner la femme au puits ou badigeonner la femme du puits : farder la vérité, mentir. On dit parfois aussi barbouiller la vérité.
La peinture vue ainsi fait qu'on ne peut soupçonner l'artiste d'avoir voulu faire oeuvre érotique.
.....
Quoique, à la limite...
Le corps est somptueux, vigoureux, les seins sont nus et la poitrine ferme, et ce corps recèle beaucoup d'énergie... La tête montre aussi un jeune et joli visage doté, qui plus est, d'une somptueuse chevelure rousse. Les yeux et la bouche transmettent un appel auquel il serait difficile de résister.
-Mais ce n'est qu'une allégorie...
- Et alors, ce n'est pas une femme qui est sur la peinture ?
- Oui mais... ceci n'est pas une femme, c'est la Vérité, tu comprends...
- Hum...
...
On comprend que Michel Leiris en ai fait un de ses exemples fétiches sur l'allégorie, comme l'explique très bien Ph. Lejeune dans Lire Leiris, autobiographie et langage , paru en 1975, épuisé, mais heureusement mis en ligne par ses soins.
Je trouve qu'il y a aussi du viol dans ce tableau, non seulement dans la volonté de tout faire pour que la vérité reste ignorée, mais de la forcer à retourner d'où elle vient, pour la cacher et pouvoir de nouveau la renier et l'ignorer.
Le seau est renversé, et l'eau vitale se répand sur le sol, définitivement souillée.
L'engagement du peintre, comme l'allégorie sont finalement très violents.
On peut s'inquiéter, quand on y pense, du rôle que joue l'image (même en général) pour qu'elle soit à ce point efficace.
La position de Leiris (dans L'âge d'homme)est intéressante :
On a fait depuis longtemps de la Vérité une divinité allégorique, fille de Saturne ou du Temps et mère de la Justice, et ce n'est pas d'hier qu'on la représente sous la figure d'une fille nue, tenant à la main un miroir ou un flambeau. (Philostrate dans l'image d'Amphiaraûs, représente la Vérité comme une jeune Vierge, couverte d'un habit dont la blancheur est celle de la neige). Si elle sort d'un puits c'est pour exprimer la difficulté de découvrir la vérité et on ne lui a pas trouvé meilleure demeure.
En fait tout vient de Démocrite (460 à 370 avant J.C.). C'est lui qui énonce que soit la vérité n’existe pas, soit elle nous est cachée et écrit la sentence devenue proverbiale : « En réalité, nous ne savons rien, car la vérité est au fond du puits. »
La petite histoire qui explique ce qui en a donné l'idée au philosophe grec, est de celle que j'aime, comme toutes celles liées au vin.
On la trouve dans Histoire générale des proverbes, adages, sentences, de C. de Méry, publiée en 1829 (pdf ici).
L'allégorie n'est donc pas jeune.
On la trouve très tôt reprise par de nombreux écrivains, sculpteurs et peintres.
Dans Le Pegme de Pierre Cousteau, avec les Narrations Philosophiques, traduit du Latin en Français par Lanteaume de Romieu gentilhome d'Arles, et édité à lyon par Macé Bonhome en 1560, (magnifique livre d'emblèmes consultable et feuilletable en ligne sur le magnifique site de l'Université de Tours), on trouve page 310 sous le titre " Au puis ou disoit Democritus vérité être cachée " l'emblème suivant avec un petit texte en dessous :
Dans la remarquable étude de Nicolas Correard (Paris 7) intitulée : La vérité au fond du puits : les variations du genre ménippéen et lucianesque dans le Tiers Livre, Don Quichotte et Tristram Shandy, on peut voir que Rabelais avait repris et travaillé cette allégorie :
Dans l'original de la première édition conservé à Tours, (Chrestien Wechel, 1546), condamnée dès l'année suivante par la faculté de Théologie de Paris, c'est au début du chapitre 35, page 251 :
Dans la numérisation faite par François Bon pour Athena (d'après l'édition Michel Fezandat, Paris, 1552, sans remaniement) c'est au début du chapître 36 :
Pour les écrivains c'est facile d'écrire cette allégorie en parlant du puits et sans passer par la femme :
- " En sortant leur vérité du puits, les indiscrets répandent l'eau partout." (Jules Renard)
- "Si la vérité ne sort pas du puits, c'est qu'elle a peur de se mouiller." (Marcel Aymé)
- "La vérité habite un puits, mais sans les porteurs d'eau, elle y resterait." (Labiche)
- "La mythologie, qui certes est une des plus grandes inventions humaines, a mis la vérité dans le fond d'un puits, ne faut-il pas des seaux pour l'en tirer? "(Balzac, Illusions perdues)
Mais pour les autres, une personne sortant du puits est incontournable :
On trouve des allusions à cette allégorie, même si parfois certaines représentations sont discrètes, comme ce quatre-feuilles de pierre, la vérité nue sortant du puits, dans la cathédrale d'Amiens (même si une autre interpétation préfère y voir Le triomphe de l'impiété), ou surprenante comme dans cette caricature féroce faite pour blesser Zola par Caran d'Ache le 10 juin 1899.
Les peintres eux doivent pour peindre la Vérité s'affronter avec une femme que l'on a l'habitude de voir sortir d'un puits, mais doivent-ils la faire obligatoirement nue ? vétue ? à demi-nue ? et pourquoi pas "badigeonnée " ?
Et puis, doit-elle tenir un flambeau, un miroir ou autre chose ou rien ?
Et puis pourquoi pas : est-on obligé de représenter le puits, objet ni particulièrement folichon ni esthétique ?
Comme d'habitude, chacun l'a fait comme il le sentait, et on trouve finalement toutes les combinaisons, y compris des Vérités sans flambeau ni miroir et qui ne sortent pas d'un puits (comme chez Henner)
Gustave Moreau
Jean-Jacques Henner
Jules Lefebvre
Musée Gustave Moreau 1898-1902, (destiné à la Sorbonne) 1870, Orsay
Une mention particulière pour Jean-Léon Gérôme (1824-1904), académique, pompier, orientaliste, néoclassique, trop connu, trop riche, ayant trop de succès et d'honneurs (buste à l'Institut..) et qui fit, dans une production parfois délirante, trois allégories de la Vérité :
- La Vérité au fond d'un puits (1894)
- La Vérité morte au fond du puits en 1895 (on a retrouvé ce tableau dans la chambre du peintre mort)
- La Vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l'humanité. en 1896.(ci-contre).
En 1902, il sera l'un des premiers à souscrire au monument Émile Zola et ce en dépit des très violentes critiques de ce dernier à son égard, lui reprochant ses prises de position très violentes à l'encontre des Impressionnistes et d'avoir tout fait pour eclipser Courbet et Delacroix.
Faut dire que Gérôme l'avait bien cherché en déclarant que les impressionnistes faisaient "de la peinture comme ils feraient sous eux" ...
IL faut dire aussi qu'à la fin de sa vie, la popularité de Gérôme commença à décliner, tant sa fermeture d'esprit aux nouveaux peintres était obstinée, ringarde, et de mauvaise foi.