Réel ou virtuel ? (suite)
Y'a pas de couleurs, et pourtant on en voit.
Suite à ma page précédente, j'ai reçu
beaucoup de courriers. Pas dans ma boite aux lettres (réelle de la Chambrie), objets
de papiers (réels) apportés
par ma factrice
mais par courrier électronique (ah oui, grâce à Internet, ce truc virtuel).
Pourtant, ce sont bien des mots, des phrases écrites par des gens vivants (parce que beaucoup de mots
nous proviennent aussi des morts, qui, tiens tiens, sont encore vivants pour nous parler
(réellement morts mais virtuellement vivants?)
, mais que je ne connais pas tous (ces vivants-là seraient donc virtuels dans ma tête ?) et qui pourtant,
sont bien là de chair et d'os, quelque part (virtuel
dans ma tête mais réel en fait, même si je ne peux pas mettre un lieu, un sexe ou un âge derrière leurs noms, leurs pseudos ou leur adresse dite virtuelle).
Je donnerai aujourd'hui un exemple de réponses qui m'ont fait plaisir dans le genre : on ne vous laissera rien passer.
-1- "Finalement, tout ce que vous dites pourrait se résumer par : tout se passe dans notre tête . Il n'y a rien là
d'original." Bien sûr, mais je n'ai jamais voulu être original,
et je n'ai pas inventé le beurre à couper le fil ! Mais il me semblait utile de rappeler que tout n'est qu'interprétation
et ne donne donc pas le droit ni l'accès à une quelconque certitude sur la réalité.
Pas de perception du monde sans encéphale pour l'homme, pas de monde sans tête !
J'ai rappelé ça parce que j'en ai marre d'entendre des discussions ou d'essuyer des remarques quand je parle d'Internet,
du genre : oui t'es dans le virtuel...Oui moi je préfère le monde réel...bla bla bla... Ça m'énerve parce
que je trouve que
ce genre de dires ou d'affirmations non seulement ne sont pas des arguments pour une critique sérieuse d'Internet,
mais sont aussi
révélateurs de ce que l'homme peut être borné et complètement dépassé pour pas dire imbécile.
Il n'y a pas à être " pour " ou " contre " Internet et la révolution numérique. Elle est là,
incontournable, monstrueuse, profonde et a changé le monde. Qui oserait dire aujourd'hui je suis " pour " ou " contre " Gutemberg et son imprimerie ?
Bien sûr que si c'est une boite à lettres et bien sûr que si c'est la mienne, même si ce que vous avez sous les yeux
n'est qu'une image sur un écran. Il n'empêche qu'elle recouvre ma vraie boite aux lettres où arrive ce qui a une adresse
qui a encore rapport et correspond avec un espace.
Ma boite aux lettres d'e-mails est à mes yeux aussi réelle que celle-ci, la seule
différence c'est que pour y pour arriver le message n'a plus à utiliser les coordonnées ni
les repères d'espace réel spatio-temporel comme avant. (La Chambrie , écrit sur l'enveloppe ou l'emballage,
indique à la poste que ça doit être distribué à un endroit qui est à 2 km du centre ville, et que c'est
donc la factrice en voiture qui le fera et non celle qui distribue le courrier à vélo dans le village.
Elle explique aussi que je n'ai pas le courrier avant 9h30, car cet espace demande du temps pour être parcouru etc...
Les mails marquent une révolution puisque cet espace et ce temps ont disparu, et que l'adresse n'a plus de rapport
avec l'endroit où ils seront lus,
ni avec le temps correspondant à une distance à parcourir pour acheminer le message. D'ailleurs, celle que certains vont appeler la vraie, ne
reçoit plus que des merdes et des publicités (d'ailleurs, c'est un comble sans adresse indiquée dessus !) et l'année dernière, les débris
qu'un oiseau y a mis pour faire son nid.
J'ai rappelé ça pour dire, et mes élèves ne l'acceptent pas, que le monde où nous vivons n'existe qu'au travers de ce
filtre-là. Ils ne veulent pas comprendre
que leur chemise n'est pas plus blanche que verte, que les molécules, atomes, électrons qui constituent leur matière
n'ont pas de couleur, et que le monde qui nous entoure, en réalité n'a pas de couleur. Ils acceptent pourtant que dans
la boite de nuit, selon les lumières qu'ils appellent fluo leur chemise soit vue bleue,
violette, jaune, mais continuent de jurer qu'elle est blanche...tout en acceptant que les daltoniens ne voient pas
comme eux...Ils ont aussi du mal à accepter que le rouge de leurs chaussettes soit pour un chien noir foncé et que
tout dépend de la machine réceptrice, des messages qu'elle envoie et de comment ils seront interprêtés. Ils ne comprennent pas bien
la notion d'input et d'output pourtant présents sur beaucoup de leurs machines.
Je leur donne des preuves que notre encéphale peut se tromper, ils se révoltent.
En prenant comme exemple la vue je leur montre des
illusions d'optique : vous voyez, vous jureriez que les deux droites sont...Et bien non, ce n'est pas vrai.
(on jurerait que le carré A est
plus foncé que le carré B ! Et pourtant, cliquez sur l'image, vous verrez que non, et que ce que vous donne à voir votre cerveau est faux) et quand il déconne il peut même s'amuser à faire des
créations complètes (il vous fait voir des éléphants dans la rue ou des insectes sur les murs, il vous fait entendre des
cascades d'eau ou le chant des sirènes, sentir des odeurs qui n'existent pas...
C'est ce qu'on appelle
des hallucinations, c'est-à dire des outputs purs qui ne résultent pas d'inputs, mais d'un dérèglement de votre encéphale), mais que vous prendrez comptant
pour du réel plus vrai que vrai ! Je ne raconte pas quand je veux leur faire comprendre que la couleur du rayonnement émis
par une étoile correspond à une composition chimique, qu'une couleur puisse indiquer aussi une température
(pourtant quand tu vois un bout de fer, tu ne vas pas le prendre dans ta main s'il est rouge ou blanc ou même orange,
et tu sais que blanc il est encore plus chaud que rouge non ?)
Ils n'acceptent pas que chacun soit dans un monde différent.
Autant de mondes que d'encéphales ! j'ai beau montrer qu'à
l'instant présent dans la salle de cours,
certains trouvent qu'il faut chaud (Monsieur, on ne peut pas ouvrir une fenêtre ?), alors que pour d'autres il y fait froid
(ne veulent pas enlever leur veste ou leur cache col) et que pour moi il y fait bon.
Que 20° dehors, le 10 février (à Nogent le Rotrou) on dira qu'il fait chaud, et qu'en août on dira qu'il fait froid.
Personne ne voudra accepter qu'en réalité il ne fait ni chaud ni froid, qu'il ne s'agit que de repères et de référentiels.
J'essaie de les rassurer en disant que cela n'a pas d'importance puisque l'on fait avec ce que l'on est, que cela
ne veut pas dire qu'il faut tout laisser tomber, que comme on est fait et comme on fonctionne on peut quand même se
mettre d'accord et vivre ensemble. Car heureusement, on s'entend statistiquement : 90 % de gens s'accordent à dire que ça c'est rouge et que
ça c'est du bleu. Bon, le daltonien aura du mal à distinguer une mûre rouge d'une mûre verte, mais il s'en sortira
quand même et ne bouffera pas la verte. Il distinguera la mûre mûre à sa taille, à sa dimension, au toucher,
à son odeur, à son expérience (c'est pas encore la saison...). Et puis même si les couleurs qu'on voit autour de
nous ne dépendent que de la différence entre
des longueurs d'onde reçues et de celles qui sont réfléchies (qui viendront donc frapper notre rétine,
qui plus est n'est pas le seul modèle qu'on trouve dans le monde animal), et donc finalement dépend
des longueurs d'ondes qui seront absorbées par les atomes de l'objet en question. C'est ainsi et il faut
juste le savoir. On peut vivre avec des illusions comme on peut vivre sans rêver. On peut croire et ne jurer que par le réel,
sans savoir qu'il n'y a pas de réel
sans virtuel et qu'il n'y a pas de virtuel qui ne s'appuie sur du réel. Cela revient toujours au problème de savoir le bruit d'une main quand deux applaudissent.
Vive donc
notre monde coloré avec ses couleurs qui n'existent pas ! Allez-y les peintres, allez-y
les imprimeurs, allez-y les graphistes (le bazar
que ça a été pour mettre au point les conventions internationales, mais ça c'est toute une autre histoire...)
et vivons comment nous sommes faits. Les artistes ont compris que c'est avec le faux qu'on fait du vrai, que
c'est en tapant sur le virtuel que notre machine vibre, tremble, pleure, que c'est avec le virtuel que nos neurones s'affolent. Les virus informatiques sont aussi épouvantables et mortels que les autres.
J'aime le bleu (0000FF), le vert (009900),
je n'aime pas le jaune (FFFFOO)...Ah les couleurs de Bonnard, Ah les
noirs et blancs de Satjajit Ray,
Ah les couleurs des feuilles en automne ! J'ai repeint le bas des murs de ma maison en blanc,
et j'ai acheté une Clio bleu outremer et le ciel de ce matin est d'un gris cafardeux...
Je vais vous dire un secret : c'est grâce au virtuel que je tiens le coup.
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