8- Voilà où je veux en venir.
Il y a l'acédie, " l'ennui propre au cloître, surtout dans le désert quand le religieux
vit seul ; une tristesse vague, obscure, tendre, l'ennui des après-midi.
Le besoin de l'infini vous prend ; on s'égare en d'indéfinissables désirs." comme la définit Sainte-Beuve
dans une note de Port-Royal. Elle vient du diable, elle nourrit
le Journal de Kierkegaard, Flaubert la met en scène dans la Tentation de Saint-Antoine,
comme le montre si bien Yves Hersant dans le catalogue de l'exposition Mélancolie.
Il y a la mélancolie, la " maladie sacrée " , mais différente car double et inspiratrice... qui fait des
artistes des enfants de Saturne...
Ici, dans le Perche, en Eure et Loir, existe une autre affection particulière et qui m'a contaminé.
Tout en
la subissant, je l'étudie de près depuis plus d'un an. C'est une variante de la Mélancolie,
liée à ce drôle de département qui peut-être aussi plat (la Beauce) que vallonné (le Perche), offrant aussi bien du
labourage que du pâturage... une histoire de deux mamelles on l'a appris à l'école...
C'est cette affection
(ce n'est pas vraiment un mal)
que j'appelle l'Eurélie
ou Eurélia. Ce dimanche eurélien (les habitants de l'Eure et Loir sont des euréliens) était
donc pour moi un dimanche eurélique
(empreint d'eurélie, mélancolie particulière régionale virulente surtout dans le Perche).
Il en
existe différentes formes, mais deux sont caricaturales:
a - la forme paralysante, qui anéantit ou abrutit, selon le vocabulaire utilisé.
L'individu se sent bien dans son travail, dans sa maison, dans sa voiture, dans son couple. Il ne trouve rien
à redire sinon répéter inlassablement :
on n'est pas si malheureux que ça, faut pas se plaindre, ça pourrait être pire. Quoiqu'il lui arrive ou arrive
aux autres, il se console facilement, trouve la bonne justification, pour rester tranquille. Il ne vote plus
ou blanc, il ne fait plus la différence entre la
droite et la gauche, il ne fait plus grève depuis longtemps (ça ne sert à rien et ça coûte cher),
il ne trompe plus sa femme, il n'en a plus la force. Avoir la tranquillité est son but. Un peu de cynisme ou
d'humour arrivent encore à lui faire croire qu'il est en bonne santé et qu'il maîtrise la situation.
Cette forme est pernicieuse, car on ne se rend
pas compte de l'anesthésie qu'elle procure.
On n'en meurt jamais, mais passé un certain âge, on ne peut plus guérir, cette apathie échappatoire assure
une survie prolongée et une vieillesse heureuse. On appelle cette forme l'option couvercle fermé,
car l'individu n'aborde plus que des sujets sans intérêt, comme la météo, la voiture ou la maison.
Cela se traduit naturellement par des sujets souvents près de leurs sous,
non pas radins, au budget serré et bien calculé, au solde positif . les coups de folie sont rares.
b- la forme délirante, la plus pénible et triste. L'individu continue de ruer dans les brancards, vouloir
autre chose, ne peut pas s'empêcher de rêver à un ailleurs ou à un autrement, ne tire aucun profit de son expérience,
garde encore
certaines illusions, qu'il jure pourtant ne plus avoir. Il voudrait encore croire à l'amour, à l'amitié, au
désintéressement. Son apparente immaturité
le rend pensif, songeur, et quand il s'affronte ou repose des questions elles aussi éternelles comme
l'amour, la religion, la politique, l'écologie, l'injustice, le racisme etc, il entrevoit
la futilité et l'absurdité de la vie ce qui le plonge dans des périodes plus ou moins longues de protration ou de frustration.
Il a l'impression de tourner en rond, sans jamais trouver la bonne porte pour sortir de sa spirale infernale,
ce qui le plonge souvent dans un état de fatigue chronique
et à d'autres moments dans des crises de cafard, frôlant la dépression. On en meurt rarement mais on connaît quelques cas
de morts subites ou de disparitions mystérieuses. Lors de certaines crises de doute, plus aigues que d'autres,
il essaie de
parler de lui et de ses problèmes pour les partager avec les autres pour savoir comment eux
se débrouillent pour être en apparence en aussi bonne santé, pose des questions bêtes,
comme que faîtes-vous le dimanche ou ça ne vous arrive jamais d'avoir mal ? Dans cette forme délirante,
il trouve la vie difficile à vivre, ce qui se passe dans le monde épouvantable et il arrive que dans
des souffrances morales atroces il songe à finir ses jours. Cette forme dite " à découverte " se traduit par
des crises cardiaques, des infarctus, ou autres cancers et déréglements. Les individus atteints de cette forme
ont souvent des problèmes d'argent, ne sachant pas gérer un budget, n'aimant pas calculer et vivant souvent,
comme avec leurs questions, au-dessus de leurs moyens.
L' Eurélie frappe un grand nombre de gens après la quarantaine, la forme de loin la plus fréquente étant la forme paralysante.
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