Extrait du
Dictionnaire International des Termes Littéraires: " 1. (Sens premier). Gouffre, précipice, fossé insondable. (métaphoriquement abîme entre, plus fort que fossé entre). Différence importante entre des concepts, des opinions, etc. Opposition irréconciliable. 2. (Héraldique). Milieu, centre, coeur de l'écu pouvant accueillir des figures réduites. Division de l'écu située au centre. La reproduction de l'écu au centre ou à l'abîme de l'écu, d'où est tiré le terme littéraire de mise en abyme, est en héraldique une pièce honorable appelée écu en coeur. 3. (Métaphoriquement). Infini, chose d'une telle profondeur qu'elle est incompré-hensible et que l'homme y perd son entendement. L'abîme du temps. Abime de l'enfer. «Éternité, néant, passé, sombres abîmes» (Lamartine). 4. (En référence au renvoi infini des images entre deux miroirs ou par allusion aux méditations sur la primauté de l'oeuf ou de la poule). Régression du présent dans le passé dans une quête infinie de l'origine. Vertige ressenti devant la profondeur de l'infini semblable à un jeu de miroirs face à face, devant l'incommensurable, l'irrationnel, l'indicible, en faisant fréquemment une figuration du destin «insondable» dans la littérature. « Le monde, c'est l'abîme et l'abîme / Est mon trou » (Victor Hugo, La légende des siècles). Vertige qui s'empare du lecteur devant la malléabilité du sens, son instabilité résultant du jeu infini des signifiants dans un texte. V. l'article JOUISSANCE. 5.(Religions monothéistes, souvent en référence du tohu va bohu du Livre de la Genèse). Matrice du monde encore incréé contenant toutes les potentialités existentielles avant toute formulation par le Verbe (le logos). Espace vague qui entoure la terre («vêtement», psaume 104), la séparant du manteau de lumière de Dieu. (Par extension logique). Indétermination. Absence du principe organisateur. Absence d'ordre. Espace liminal séparant la puissance créatrice, l'esprit divin, le numen des phénomènes. Conditions préalables entourant l'émergence des phénomènes indéterminés. V. les articles ABSENCES, ÉMERGENCE, ESPACE, LIMINALITÉ, NOYM . 6. (Anglais : abyss of nothingness). Sensation passagère, mais récurrente du vide dans lequel se dissout le sens (anglais : solving emptiness), de l'abîme du néant creusé par les mots qui se renvoient les uns aux autres sans atteindre une identité. B. Mise en abyme 7. (Poétique, d'après André Gide). Procédé consistant à insérer dans un texte un fragment qui le représente. La mise en abyme est une autoreprésentation diminutive. Figuration de l'écrivain par lui-même en train de composer son oeuvre; certains romanciers par exemple ont ainsi présenté dans leur récit un écrivain qui écrit. Dans le cas du théâtre dans le théâtre, le spectateur peut voir des acteurs jouant des personnages qui jouent eux-mêmes un rôle. La mise en abyme est une forme fractale (dont les plus petits éléments reproduisent la structure de l'ensemble. V. l'article FRACTAL). 8. (Narratologie). Dispositif insérant un récit (sous-texte) dans le récit principal ou primaire reproduisant les caractéristiques du récit primaire lui-même, l'illustrant, l'expliquant, le contredisant, le prolongeant comme contrepoint. La mise en abyme peut servir à mettre en évidence le thème central du roman, de la pièce, etc. Selon Mieke Bal, la fabula principale et la fabula enchâssée se paraphrasent mutuellement grâce à l'élément ou aux éléments qu'elles ont en commun. La fonction du sous-texte est d'être un signe du texte principal ou primaire. V. les articles FABULA, PARAPHRASE, SOUS-TEXTE. 9. (Théâtre). Pièce dans la pièce. La mise en abyme la plus célèbre du répertoire dramatique est probablement dans la tragédie de Shakespeare la pièce qu'Hamlet fait jouer devant le roi reproduisant les circonstances de l'assassinat du frère du roi par le roi lui-même. 10. (Sémiologie. Par extension aux arts). OEuvre insérée dans une oeuvre qu'elle représente en miniature. Image dans une peinture représentant le tableau lui-même. Image de l'image dans l'image. 11. Représentation de l'artiste dans son tableau en train de le peindre. Les tableaux de Van Eyck, de Memling ou de Metsys qui représentent un miroir convexe reflétant la scène en train d'être peinte sont des mises en abyme visuelles. 12. (Stylistique). Manière d'écrire, de composer qui reproduit dans sa syntaxe la structure de la phrase, l'organisation des parties, le propos général du texte. V. l'article FRACTAL. On pourra trouver, par exemple, un effet de miroir, au moins une homologie entre une abondance de circonlocutions, d'incises, de parenthèses, de prolepses, d'analepses et la sinuosité d'une pensée tortueuse, ou d'une intrigue compliquée. 13. (Déconstruction). Moment de prise de conscience (anglais : realization) de l'infini du sens quand le procès de déconstruction a supprimé l'habillage idéologique du texte, a dénoncé ses préconstruits et ses présupposés, mis en évidence les apories de ses certitudes (logocentrisme, ou métaphysique de la présence dans la terminologie de Jacques Derrida), a décelé les traces d'absence, a dépassé les limites de la parole, de la langue, du langage qui ne renvoient qu'à leur propre découpage de la réalité et qui échappent aux opérations de véridiction. Jean-Marie Grassin ... La suite ( Commentaire de Chloé Conan de l'Université de Limoges) est tout aussi intéressant. |