Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
Dimanche 10 décembre 2006
" Vite fait "
ou : Encore une future tragédie grecque...

Article dans la presse locale signé d'une " journaliste " que nous appellerons pour la commodité Germaine à propos d'un de mes élèves au collège que nous appellerons par commodité Kiki, et de son entraîneur au Judo, un de mes collègues, que nous appellerons par commodité Jojo.
Cet article me scandalise pour plusieurs raisons.
Lors du dernier cours Kiki est arrivé et m'a mis l'article du journal sur le bureau, assez provocant, en me disant que j'étais le seul prof à ne pas l'avoir félicité pour être champion de France. Il n'est vainqueur que du tournoi de Joigny dans l'Yonne, et d'une, et de deux, s'il gagne le championnat de France, cela me confortera dans ma navrance, et diminuera encore à mes yeux le sport tel qu'on n'arrête pas de nous en rabâcher les oreilles.

Il faut préciser, avant de reprendre l'article et de comprendre ce qu'il a de scandaleux à mes yeux, que Kiki est un élève très désagréable en cours, qui fout la classe en l'air par ses remarques désobligeantes, continues et ineptes, ne possédant pas la langue française, incapable d'aligner deux phrases ou d'utiliser plus de cinq mots, toujours les mêmes, bouscule les autres dans les couloirs, terrorise les plus jeunes ou les plus faibles, et dont tout le monde se plaint depuis toujours, le faisant passer chaque année dans la classe supérieure " vu qu'un redoublement " ne servirait à rien.
Seulement voilà, pour Kiki, on bousille chaque année une classe, cette année une troisième dans laquelle certains élèves aimeraient bien être au niveau pour aller au lycée l'année prochaine. Il a ce trimestre un avertissement travail, un avertissement conduite, a 5 de note de vie scolaire et dans deux disciplines n'est pas noté avec comme justification " inadapté ". Son prof d'éducation physique lui met un 12 le plaçant en 15ème position de sa classe dans cette discipline, notifiant par là, que ce n'est pas là un bon sportif, ni par ses performances, ni par sa discipline ni son attitude en cours et que faire 126 kilos à 15 ans n'est pas en soi une qualité et ne témoigne d'aucune réussite particulière.
Bref, entre nous, on pourrait dire que c'est un emmerdeur, car il est intelligent, se moque de notre gueule, nous mène une vie impossible. Quand on a essayé de faire des " dossiers " pour essayer de lui trouver une place dans un endroit plus spécialisé pour ce genre d'élèves, ils n'ont jamais abouti. On n'a pas trop insisté non plus, son père parlant d'un projet d' envoyer Kiki en Arabie Saoudite pour y faire " une formation ".
Incapable de se discipliner, d'accepter une vie communautaire et citoyenne, de réaliser ce qu'il promet (" Monsieur, je vous promets, maintenant je me tais ", quand bien sûr on le menace de l'exclure de cours), Kiki n'est pas un modèle ni un exemple.
Mais voilà, le drame c'est qu'on lui fait croire que c'en est un, que c'est un dur, une vedette, parce qu'à Nogent le Rotrou il rétame en judo ses adversaires. Ce n'est pas la première fois qu'il est " dans le journal ",je trouve que Germaine pousse un peu loin le bouchon et cautionne un mauvais système.


TITRE : Kiki la force tranquille .
Je rêve. Cet élève est mal dans son corps, toujours énervé, prêt à bousculer, donner un coup, toujours sur le qui-vive pour trouver l'agression facile qu'il trouve " rigolote "... Je l'ai observé dans la cour. Tout le contraire de quelqu'un de tranquille. Sa masse et son poids impressionnent mais ne donnent de la force que le côté bulldozer pas celui de la rivière tranquille. Pas facile non plus de gérer une telle surcharge pondérale, on peut le comprendre.
Germaine commence d'ailleurs comme ça, mais comme si c'était un premier point fascinant.
" Lorsque vous le croisez dans la rue, c'est certain, vous n'avez pas envie de lui chercher des ennuis...". (On se demande pourquoi Germaine, quand on croise quelqu'un dans la rue, on lui chercherait des ennuis ! )

"...pèse plus de 120 kilos, un poids qu'il met au service de son sport, le judo.". Non ce n'est pas vrai. Il en profite dans la cour, dans les couloirs du collège, pour bousculer les petits et les faibles.

"...cela va peut-être lui permettre de prendre enfin conscience de son énorme potentiel ", confie Jojo. Il serait en effet temps. Mais de quel potentiel parle-t-il ? mais juste après ajoute : " Il est un peu nonchalant et je ne connais pas encore ses limites parce qu'il ne me les a encore jamais montrées pendant les entraînements ". Là c'est inquiétant pour l'enseignant : il est dans le même collège que Kiki, et n'a jamais été tenu au courant ? Nonchalant ? Que veut-il dire ? Entend-t-il par là que cet élève est incapable de faire un effort, d'ouvrir ou d'apporter un cahier, d'écrire trois phrases à la suite (ça fatigue !), d'apprendre une leçon, de faire un devoir (écrit son nom et rend la feuille blanche sans chercher à faire ne serait-ce que deux ou trois questions, et passe le reste du temps à perturber les autres qui eux essaient de faire le devoir...). Confond-t-il à ce point nonchalance et fainéantise ? Là, j'avoue que cet enseignant me fait peur et m'inquiète, ou pire, ferme bien facilement les yeux sur les défauts son poulain, ou préfère tout simplement les ignorer .

" Je n'étais pas stressé " confie-t-il avec un peu de fierté dans la voix "l'an dernier, j'ai participé à des compétitions bien plus difficiles que celle-ci et c'est sans doute ce qui a fait que je me sentais bien et que cela m'a permis de bien réussir "continue-t-il
Présenté comme une citation, ce n'en est pas une. Kiki est incapable d'aligner ni de construire une phrase comme celle-là. Il serait même incapable de l'apprendre par coeur et la réciter sans faire d'erreurs. Germaine réécrit, ce qu'elle a pu comprendre dans son charabia.
Germaine ment et trompe son lecteur. Seulement voilà, cela entacherait l'image du super héros sportif. À la télé on ne pourrait pas faire une interview. on en ferait une vraie fausse : c'est Jojo qui parlerait à sa place et qui commenterait les images de la force en action.


Une seule remarque est juste : la fierté dans la voix. Kiki est fier de lui, a toujours raison, et aime narguer, et vous toise de haut. Germaine oublie de dire que Kiki sourit toujours en vous regardant.
Germaine ne voit pas qu'elle est en train de construire un héros bidon.
Par contre, elle prend soin déjà d'insister sur le traitement réservé aux futures stars, et faire rêver déjà les plus petits, " Parti la veille pour Joigny dans l'Yonne afin de passer une nuit au calme dans un hôtel confortable Kiki se présente à la pesée le matin de la compétition à 9h30. "Avec 126 kilos sur la balance..." Kiki ne peut pas dire " Avec 126 kilos sur la balance..." !

Je ne parle pas de la citation suivante ! Kiki ne peut pas dire " soit trois grades au-dessus du mien...". On a un peu de vérité par la suite : " la saison dernière, je n'étais pas super assidu aux cours, ce qui fait que je n'ai terminé que 5è aux inter-régions et 3è au championnat régional" admet Kiki."

Mais le meilleur et le plus risible à mes yeux d'enseignant c'est la suite.
" Scolarisé en classe de troisième au collège Brossolette, il avoue sans détour que l'école ça se passe " vite fait " (tiens, en voilà une vraie citation de Kiki, deux mots expéditifs même s'ils ne sont pas forcément les plus adaptés ! Bravo Germaine !)
Vite fait ? Kiki vient au collège assidûment du lundi matin au vendredi soir (que ferait-il tout seul s'il n'y venait pas ? ), sauf bien sûr le mercredi après-midi où il y a entraînement. Du lundi au vendredi...c'est vite fait non ?
D'ailleurs, y'en a un peu marre que les élèves de cette section vous répondent d'un ton assuré et narquois " Ah non, Monsieur, vous ne pouvez pas nous coller le mercredi après-midi, on a judo !", comme si c'était un passe-droit, une priorité du programme, remettre en cause notre mission éducative et l'avenir de la nation ! Moi, je comprendrais mieux l'inverse : on ne va au judo que si le reste de la semaine (comportement et travail) est satisfaisant. Le Judo n'est pas, dans notre système, une option obligatoire à ce que je sache !

Ce qui suit sur son entraîneur Jojo (enseignant dans le même collège, je le rappelle, mais n'est pas le prof de kiki qui n'est pas dans une de ses classes) est tout simplement ahurissant :
" Mais Jojo veille aussi sur sa scolarité ".
Je lui conseille alors de se mettre vite fait en rapport avec le CPE, avec son collègue le prof d'EPS de Kiki (qui visiblement avec un 12 ne semble pas d'accord avec lui), les autres profs de Kiki, et de venir au Conseil de classe de la classe de Kiki.
Mais visiblement, la vision de ce qu'est l'Éducation Physique et sportive n'est pas la même chez ces deux enseignants.
Visiblement, il y'en a un qui croit plus en l'Éducation , alors que l'autre croit plus au Physique. quant au Sport, la société et ses médias se chargent bien de nous rabâcher à longueur de journée ce qu'il faut en penser, et de nous en donner de beaux exemples !
Ce serait le minimum, avant de laisser affirmer qu'il " veille " sur sa scolarité, ce qui est tout simplement FAUX.
"...et espère bien voir un déclic se produire après cette victoire."
On aimerait que Jojo nous explique ce qu'il veut dire par " déclic " en ce qui concerne son poulain Kiki !

On apprend vers la fin de l'article, que la route est longue encore pour Kiki : championnat national cadet qui se déroulera à Châtellerault les 27 et 28 janvier prochains.
Germaine trouve une chute formidable et originale : " Avec peut-être un titre de champion pour Kiki ? "

ET OUI, promenons-nous dans les bois tant que le loup n'y est pas...RÊVONS.
Kiki est champion de France. Il va aller en équipe de France. Il sera plus tard champion de France encore chez les grands.
Dans les journaux, Kiki au volant de sa BMW pavanera et racontera son "école vite fait " (on vous l'a déjà dit non que l'école, ça ne servait à rien, et qu'on y apprend rien de bon ni d'utile, et qu'elle n'est pas nécessaire aujourd'hui pour " réussir "...), et tiendra à revenir en personne à Nogent le Rotrou, pour narguer ses copains ouvriers chez Valéo (si l'entreprise n'a pas été délocalisée), et piquer les pièces jaunes aux pauvres des Gauchetières, avec Madame Sarkosy.
Un peu plus tard, devenu le super héros eurélien, il ira représenter la France aux jeux Olympiques, où il sera notre seul grand espoir.
Il ira même en finale, mais là, dieu sait pourquoi, à trois minutes de la prise finale, il fichera un coup de poing surprenant sur le nez de son adversaire, le laissant KO sur le tatami, mais se disqualifiant par la même occasion, et privant la France d'une médaille tant attendue.

Kiki entrera dans la légende vite fait. On fera de belles émissions de télé et de beaux articles dans les journaux sur ce geste inexplicable. Les philosophes et les écrivains s'en mêleront. Il y aura les pour et les contre Kiki.
La vente des chaussures K comme Kiki, explosera et Kiki sera responsable à l'Unesco de la paix dans les cours de récréation du monde entier.
Jean-Philippe Toussaint publiera Eurélie de Kiki pour expliquer que le coup de poing lancé par Kiki n'a pas pu " mathématiquement " écraser le nez de son adversaire. Il réexpliquera à cette occasion le paradoxe de Zénon.
Bref, vive le sport Germaine.
Et quel bel exemple !