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Premières impressions d'un début de retraite attendue...
ou : comment parler de quelque chose alors qu'on n'en sait encore pas grand chose. ou tout simplement : puisqu'il y en a qui me le demandent ! (2ème partie) Je suis un retraité de l'Éducation Nationale depuis le premier septembre 2009, cela fait donc aujourd'hui à peu près 5 mois. 1- L'effet est boeuf. On se sent subitement d'une légèreté et d'une gaieté aussi subites qu'inhabituelles. C'est dire à quel point ce métier (car c'en est un) est lourd, chose soupçonnée bien sûr souvent au hasard de la peine, mais pas consciemment à ce point là ! Au diable copies à corriger (toujours en retard), au diable réunions et salle des profs, au diable les convocations pour voir des parents qui ne viennent presque plus (et justement ceux que l'on voulait vraiment voir, c'est-à-dire ceux dont les enfants ont des problèmes), finis les pensées pétries de fatigue, les collègues de mauvaise humeur, les élèves qui vous foutent votre cours en l'air et empêchent ceux qui à la rigueur voudraient le suivre. Finis à la télévision les ministres et petits chefs qui veulent votre bien et réforment à tire-larigot, comme s'ils savaient de quoi ils parlaient, eux qui n'ont pas mis les pieds dans une classe depuis 20 ans, (et encore, s'ils y ont jamais mis les pieds un jour, dans des conditions, une société et un monde, avec des parents et des élèves qui n'étaient pas ceux d'aujourd'hui), finis tous ces gens qui ont des solutions, possèdent la vérité et veulent vous l'imposer pour votre bien, les discussions longues et stériles qui expriment le mal-être, la mésestime de soi ou les rancoeurs personnelles. Finis les temps libres où fatigués on se sent coupable de ne rien faire alors qu'il faudrait rattraper son retard, rechercher un document nouveau, reprendre son cours de l'année dernière, s'avancer... Finis l'angoisse de ne pas être sûr qu'on fait bien tout ce qu'il faudrait faire, de faire bien tout court, le stress des agressions (même uniquement verbales, de mauvaise foi ou hypocrites) des élèves à qui l'école ne convient pas et qui, parce qu'ils n'en ont jamais vu l'intérêt ou l'utilité, y perdent leur temps, font perdre le temps aux autres, et s'y défoulent d'un mal-être dont l'école n'est pas responsable, en tout cas pas moins que les parents et tout simplement la société et les modèles distribués, où ils vivent... dans le grand brouillard d'un monde sans horizon ni repères. Finis les enfants qui veulent être footballeur ou chanteur, gagner beaucoup d'argent, mais sans effort et vite ! On n'a jamais fini avec les finis. Fini de passer de plus en plus souvent et un peu plus partout pour quelqu'un de payé à rien faire, toujours en vacances, et autres conneries, si colportées justement par ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans une classe... et qui ne peuvent soupçonner ou imaginer à quel point ce métier est lourd ! Tous ses finis qui vous tombent dessus en un seul jour m'ont donné en tout cas cette légèreté, qui encore aujourd'hui, au bout de cinq mois, ne diminue pas. Une véritable libération. 2- Non... Rien de rien... je ne regrette rien et pense que non seulement "c'était bien" mais en plus que j'ai fait du bon travail. Pour être précis j'étais rentré en fait 10 ans plus tôt dans cette entreprise devenue par la suite mammouth, à l'E.N.I de Chartres pour être instituteur qu'en fait je ne fus que quelques mois de stages, avant une mise en disponibilité pour études... jusqu'à l'agrégation de Sciences naturelles obtenue la même année et dans la même École Normale Supérieure que Pierre Bergounioux (1973, Saint-Cloud). Depuis cette date je n'ai pas hésité ni arrêté de partir, quitter et changer d'établissements, de pays, d'épouses, de conditions de vie, d'activité (enseigner, diriger, administrer, évaluer, rapporter, former...) même s'il fallait souvent tout recommencer ou repartir de zéro (passer du secondaire au lycée à l'Université, passer de San Francisco à Saint-Louis du Sénégal, de l'Afrique à l'Océanie, de l'IUFM au collège ZEP...), faire plus que ce qu'on me demandait, parfois un peu follement, mais toujours parce que j'y croyais en avais envie, et que cela me donnait du plaisir . J'ai travaillé comme un fou, rencontré beaucoup de monde, beaucoup voyagé, beaucoup fait la fête, beaucoup ri, beaucoup bu, et dépensé toujours tout ce que je gagnais, dépensé jamais économisé, et fait profiter à ceux qui étaient autour de moi (une de mes erreurs si je considère tous ceux qui ne s'en souviennent plus et en ont pourtant bien profité, ou ceux qui aujourd'hui repus dans leurs économies ou leur sécurité n'ont aucune empathie pour mes difficultés d'aujourd'hui !). Qu'importe, je fus cigale, je ne regrette rien et longue vie aux fourmis. C'était bien. Cela m'a obligé souvent à me recycler, me remettre en cause, mais jamais diminué mes quelques passions disciplinaires ni l'enthousiasme de les faire partager (théorie de l'évolution, origine de l'univers, neurophysiologie, origine de l'Homme...). Carrière à l'étranger, gros travail, mais aussi beaucoup de rencontres et de photos, de publications, de vidéos, de peintures, d'expositions... Chance ? Non, surtout énergie, insouciance, vitalité, Éros plus fort que Thanatos. Je ne regrette rien, mais il était temps que j'arrête car le métier avait changé et l'on attendait plus la même chose qu'à mon époque... Ces derniers temps, passé cette limite, mon ticket n'était plus valable. Je quitte l'Éducation Nationale au moment où l'école va mal parce que la société va mal. J'arrête au bon moment pour moi, où je commençais à ne plus avoir de plaisir ou de satisfaction, où j'allais m'emmerder et m'aigrir. Ce métier fut ma meilleure thérapie. Il fut le théâtre dont j'avais besoin et j'eus la plupart du temps un bon public. (J'ai toujours considéré chaque cours comme une pièce de théâtre : j'écris la scène, je la mets en scène, je fais les décors, je monte sur scène, je l'interprète et je salue. Applaudissez ou sifflez. J'eus la chance d'être applaudi ! Le pied !). Je le quitte sans regrets ni remords, mais il était temps que je parte. C'est fait. C'est une chance, j'en connais qui sont morts avant et d'autres qui en ont marre depuis des années et qui ont encore 10 ou 15 à faire. Je n'ose imaginer comment j'aurais pu tenir si tel avait été mon cas. Place aux jeunes, à ceux qui y croient, ont de l'énergie et veulent changer les choses. Il y en a, beaucoup plus qu'on ne croit, je les ai vus ces dernières années, ça fait plaisir. Ils sont l'avenir. Je commençais à être et me sentir "du passé"... 3- "Etre à la retraite" c'est la vie qui continue, mais... pas sans dangers et peut-être pas la même. a- Le regard des autres change sur vous. Dès que l'on prononce le mot, lorsqu'on vous demande, par exemple lors d'un repas, ce que vous faites, on sent aussitôt beaucoup de non-dits ou de sous-entendus et bien vite on n'intéresse plus grand monde. On est vieux, on n'est plus bon à rien, on n'a plus rien à attendre de vous... on n'est plus intéressant etc. On est à la retraite : donc au mieux vous êtes quelqu'un qui ne fait plus rien, qui n'a plus qu'à passer du temps à s'occuper en attendant de mourir. J'ai trouvé cela un peu injuste et pénible au début, maintenant j'y suis insensible et cela me fait sourire dans la moustache que je n'ai pas. Quelquefois il m'est arrivé, plutôt que répondre je suis à la retraite, de faire une boutade du genre j'ai assez de revenus pour ne pas travailler (ce qui là réveille la curiosité des autres ou un certain intérêt : pourquoi LUI a t-il suffisamment d'argent sans travailler, qui est-il pour être suffisamment riche pour... Qu'a-t-il fait pour...). Le regard des autres vous vieillit. J'en ai vu certains même qui semblent vous accuser, comme si vous deveniez une charge de la société... ou vous assurent que c'est pour vous qu'ils travaillent, eux (bande de sarkosystes va !). b- Avant la retraite, on attend la retraite, pour des raisons qui peuvent être multiples et même contradictoires, parce qu'on en a marre de travailler, que l'on est fatigué, parce qu'on a envie de faire autre chose, y compris se reposer, on peut imaginer... on est dans le : un jour, ailleurs, autrement, enfin... Quand la retraite arrive, on y est pour toujours. Il n'y a pas d'après. On est et on sera à la retraite pour toujours, jusqu'à la fin. On se surprend à penser : alors, elle va venir quand cette putain de mort ? Alors, maintenant qu'on y est, qu'est-ce qu'on va faire ? La réponse semble aussi simple qu'immédiate : faire ce que l'on attendait depuis un certain temps de pouvoir faire (par manque de temps, la plupart donné au travail) et pire, ce qu'on avait rêvé de faire "une fois qu'on y serait" ! et profiter... (ah ben lui, mon vieux, il a bien profité de sa retraite ! sous-entendu : il a vécu longtemps payé longtemps à ne rien faire, le veinard !) de ce temps enfin arrivé, où tout le temps va nous appartenir enfin ! (bien mérité et pour lequel il a fallu d'abord cotiser chaque mois, pendant des décennies, celles de notre jeunesse et de notre force de l'âge!). Je suis donc arrivé, comme sans doute la plupart des gens avec plein de projets en tête, de choses "à faire", que j'avais envie de faire... Mais voilà, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévues. c- A la retraite, le temps se met à accélérer . C'est psychologique, mais les semaines défilent les unes après les autres, pleines de cette liberté d'emploi du temps nouvellement acquise, et sans que l'on commence sérieusement un de ses projets. La retraite pousse à la procrastination. Pourquoi se presser ou se forcer aujourd'hui puisque demain on est libre, et qu'on n'a pas rendez-vous au travail, dans son usine ou dans son école ! On a rendez-vous avec personne ! qu'avec sa liberté de faire ce qu'on veut quand on veut. C'est là bien sûr une terrible vacherie, un piège dangereux et vicieux. Il n'y a plus que nous qui puissions nous pousser au cul ! A la retraite, on devient son propre chef, son propre dirlo. La société vous fout la paix et vous oublie. Même si je ne suis pas resté inactif, au bout des cinq mois passés, je vois le danger : se laisser aller, cultiver sa fatigue et sa paresse, le à quoi bon, le y'a pas le feu... d- Le plaisir est pourtant là aussi. Car cette liberté est sans cadre : on peut lire quand on veut, le temps qu'on veut, et ne rien faire d'autre. On peut regarder des films, écouter des disques, quand on veut, le temps qu'on veut, autant qu'on en a envie ! Et pour de nombreuses autres choses aussi... Depuis cinq mois, je me suis ainsi laissé aller (enfin) à une certaine goinfrerie (des nuits à 4 films, des jours à rien du tout, des matins siestes, des après-midi terrasses, des après-midi inventaires complet d'une librairie ou d'un disquaire...). e- La retraite, tant qu'on a la santé est pleine d'espoirs et de rêves. Non, faut pas rêver. On sait que le temps qui nous reste est limité. Depuis cinq mois, dans l'ignorance du délai qui m'est imparti, cumulée avec celle de ma dead line, j'ai tendance, contradictoirement avec le temps libre dont je n'ai jamais autant disposé, à devenir pressé. Pressé mais non pas précipité, pressé dans le sens que le temps est précieux, n'est plus à perdre... Ma première réaction, fut de dresser une liste de mes projets ou de "choses que j'aimerais faire" ou qu'il faudrait que je fasse, c'est-à-dire qui me feraient plaisir de faire, et c'est là que je m'aperçus que la liste était idéalement longue (ben dis donc, je ne vais pas m'ennuyer !). Trop longue sans doute. Moment difficile : trop de choses, trop de projets, pour croire raisonnablement qu'on pourra les faire tous, problème de temps mais aussi de moyens (santé, finances, énergie...) Il allait falloir aviser ! (à suivre...) |