page précédente(les épluchures du dimanche) Lundi 21 février 2011 page suivante (les expositions d'ici) retour au menu
Si ce n'est pas trop loin...
je vais encore voir ce qui se passe (mais ça dépend),
ou : une hypothèse scientifique qui ressemble à un pari.

   
André Brack, directeur de recherche émérite au Centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans, est membre honoraire de l'Institut d'Astrobiologie de la Nasa. Il a dirigé l'équipe scientifique de Beagle 2, l'atterrisseur de la mission européenne Mars Express. Il préside également le Réseau Européen d'Astrobiologie, qu'il a fondé en 2001 et qui regroupe les astrobiologistes de 17 pays européens. André Brack étudie les origines chimiques de la vie, son évolution et sa distribution dans l'Univers.
Il était à Nogent-le-Rotrou, vendredi 18 février, invité par le 14ème café de Mai Pourquoi l'association présidée par Jean Thenaisy, dont j'ai déjà parlé.
C'est notre plus grand et célèbre exobiologiste français, de stature internationale, auteur de plusieurs livres références comme Découvrir la vie extraterrestre (Le Pommier, Paris 2007), La vie est-elle universelle : des premiers êtres vivants à l'exploration spatiale (avec B. Leclerc, EDP sciences, 2003) et récemment La vie dans l'univers, entre mythes et réalité (avec F.Coliolo, Editions la Martinière, 2009) que nous pouvions consulter vendredi dernier.
L'exobiologie, que les anglophones appellent astrobiologie est une science récente, mais dont l'hypothèse de base (il y a de la vie ailleurs que sur la planète Terre) n'est pas nouvelle.
On cite toujours Epicure qui 300 ans avant Jésus-Christ écrivait à Hérodote "Les mondes sont en nombre infini... Personne ne saurait démontrer que ces sortes de germes, d'où sont sortis les êtres vivants, les plantes et toutes les autres choses visibles, pourraient ou non exister dans tel monde et ne le pourraient pas dans tel autre.", ou Lucrèce dans De natura rerum : "Si la même force, la même nature subsistent pour pouvoir rassembler en tous lieux ces éléments dans le même ordre qu'ils ont été rassemblés sur notre monde, il te faut avouer qu'il y a dans d'autres régions de l'espace d'autres terres que la nôtre, et des races d'hommes différentes, et d'autres espèces sauvages.", sans oublier le célèbre Giordano Bruno (dans le Banquet des cendres par exemple), dont l'anniversaire de la mort était il y a quelques jours (il fut brûlé vif sur le Campo de Fiori, à Rome, le 16 février 1600).
La prouesse d'André Brack est remarquable de plusieurs points de vue : il sait poser le problème, le raisonnement et la démarche qu'il arrive à nous faire comprendre, sans tableaux, ni notes, ni projections, si bien que pendant trois quarts d'heure on le suivra avec intérêt, et que chacun pourra se faire sa réponse à la question fatidique : " La vie est-elle universelle?"
Pour répondre à cette question André Brack nous trace un chemin logique :
- qu'est-ce que la vie ? (un système capable d'auto-reproduction et d'évolution)
- comment et quand la vie est-elle apparue sur Terre (c'est la seule référence que l'on a pour l'instant sur la vie) ? Il y a environ 4 milliards d'années (environ 500 millions d'années après sa formation), dans l'eau, avec des éléments carbonés.
Si la vie a existé ou existe sur d'autres planètes, il faut donc qu'on y trouve de l'eau (sous forme liquide) et du carbone dans des molécules carbonées :
- de l'eau liquide suppose une planète ni trop petite ni trop grosse, ni trop proche ni trop lointaine de son étoile, ce qui fut le cas de la Terre.
- du carbone, on en trouve dans plusieurs endroits, mais son origine variée n'inclue pas toujours une quantité suffisante.
....On trouve du carbone dans l'atmosphère (sous forme CO2 (dioxyde de carbone), CO (monoxyde de carbone) et méthane CH4). André Brack rappelle que l'américain Stanley Miller a démontré dès 1953 qu'en mélangeant du méthane, de l'hydrogène, de l'ammoniac et de l'eau (avec des étincelles électriques) on peut former des acides aminés (les éléments de base des protéines). Hors le méthane (en faible quantité dans l'atmosphère primitive), cela fonctionne aussi avec du CO2, mais c'est beaucoup moins "rentable" (peu productif d'acides aminés). Il faut donc chercher d'autres sources.
....Les sources hydrothermales sous-marines (les célèbres "fumeurs noirs") sont très intéressantes : les gaz qui s'en échappent sont riches en hydrogène, dioxyde de carbone, azote, ce qui les rend propices à la formation de molécules organiques, et d'ailleurs on a trouvé dans ces geysers, des hydrocarbures !
Une source sérieuse de molécules carbonées est tout simplement spatiale, assurée par les météorites. Mais là encore ce n'est pas si simple car des météorites, il y en a de toute taille.
- Les très grosses, se vaporisent et retombent sous forme de cendres quand elles arrivent sur notre planète (la traversée de l'atmosphère et leur vitesse leur sont fatales).
- Les moins grosses, de l'ordre de quelques kilos (on en a des milliers dans nos musées et les laboratoires) contiennent bien de nombreux acides aminés et autres molécules carbonées, mais même si au départ il devait en tomber beaucoup plus, elles ne représentent aujourd'hui qu'une dizaine de tonnes par an.
- Par contre les micro-météorites, d'un poids voisin ou inférieur au milligramme, et qui elles aussi contiennent des molécules organiques même complexes, représentent encore aujourd'hui (on les récolte par exemple dans les glaces polaires) 20 000 tonnes par an ! On a calculé qu'au début de l'histoire de la terre, sous fort bombardement météoritique, la terre avait pu recevoir
25 000 fois plus de matière carbonée que n'en contient aujourd'hui notre biosphère en entier, l'équivalent d'une marée noire de 40 cm d'épaisseur recouvrant toute notre planète ! A noter un point de détail très intéressant : les acides aminés ne sont pas symétriques (on dit que ce sont des molécules chirales). Il existe ainsi des formes droites et des formes gauches. Or les protéines des êtres vivants ne sont faites qu'avec des acides aminés de forme gauche. Et bien comme par hasard, dans les météorites, les acides aminés gauches sont majoritaires (jusqu'à 9 %) dans certaines météorites. Cela autorise réflexion et le droit d'y voir une explication...
On connaît donc les personnages (les ingrédients, eau et molécules carbonées), le décor (la Terre) mais malheureusement pas le scénario. Sur la terre, les traces du début de la vie sont en effet effacées (trop de soleil, mouvements tectoniques, érosion des roches, oxydations, on peut dire aussi que la vie efface ses propres traces...). Alors, pourquoi pas chercher ailleurs ?
Et là André Brack entre dans le coeur de son sujet et de sa passion.

Quel mot puissant : ailleurs !
A nous télescopes et vaisseaux spatiaux, à la recherche de l'eau (liquide) et des molécules carbonées,
à nous les exoplanètes (on en connaît plus de 400) où la vie pourrait ou a pu apparaître !
A nous Vénus la torride, Mars la rouge, Europe (une des lunes de Jupiter), Titan et Encélade (satellites de Saturne),
à nous sondes, orbiteurs et atterrisseurs dont les noms nous font rêver : Venus express, Viking, Phoenix, Mars Odyssey (avec l'atterrisseur Beagle 2, le Noël noir de 2003 pour André Brack, puisqu'on n'a jamais reçu le premier signal composé par Alex James, bassiste de Blur), Mars Express, Mars Science laboratory, ExoMars (en 2018), Cassini et Huygens, Corot etc...
On n'a bu que ses paroles mais André Brack nous a "planté le nez au ciel" et la tête dans les étoiles !
Les conclusions d'André Brack sont précises : on n'a pour l'instant jamais trouvé une trace de vie passée ou présente ailleurs que sur notre planète. Il n'empêche qu'ailleurs on a trouvé les ingrédients nécessaires. Il n'y a aucune donc aucune raison de ne pas continuer les travaux, expériences et missions. Il n'y a donc aucune raison ni preuve pour affirmer qu'il n'y a pas de vie ailleurs.
Le public, comme à son habitude à Mai Pourquoi pose des questions.
Je suis étonné que la question de Dieu ne sorte pas plus que cela. André Brack, comme d'autres scientifiques (je pense à Hawking) peuvent se débrouiller sans Dieu. Il y a à mes yeux pourtant dans l'exobiologie un pari identique à celui de Pascal. On n'a pas plus de preuves de l'existence de Dieu que de preuves de sa non-existence, et chacun peut donc prendre l'hypothèse qui lui convient (je rappelle qu'en science, une hypothèse est une affirmation, qui doit donc être être confirmée ou infirmée, vérifiable, pour être scientifique).
André Brack sait que certains trouvent qu'il travaille sur une hypothèse un peu folle, perturbante voire choquante. Mais il ne manque pas d'humour (on a pu le vérifier tout au long de sa conférence), et sait que dans l'histoire des sciences, beaucoup d'hypothèses provoquèrent de fortes répulsions, et que beaucoup se sont fait traiter de fous ou de charlatans (pensons à Darwin, Pasteur...). André Brack est un scientifique qui a la force de son audace. Et s'il a terminé en citant Saint-Exupéry et Sénèque, il aurait pu aussi citer Claude Bernard : "Une idée ne doit pas être repoussée pour la seule raison que ses conséquences dérangent une théorie régnante. L'absurde suivant nos théories n'est pas l'impossible suivant la Nature."
Chance donc de rencontrer et écouter ce soir un tel homme, qui en plus illustre que les pôles scientifiques que l'on dit de province ne sont pas à négliger. Travaillant à Orléans où il rentrera en voiture ce soir, André Brack fait honneur au CNRS, à l'INRA, au BRGM, à l'INSERM de notre région Centre.
Souhaitons-lui bonne chance pour la mission ExoMars de l'ESA qu'il coordonne à Orléans, dont le lancement est prévu pour janvier 2016 et qui devrait déposer fin 2017 sur la surface de Mars un rover et une station fixe.

C'est bien sûr avec plaisir que tous les gens qui s'étaient inscrits se dirigèrent ensuite vers le Saint Pol pour s'y restaurer.
Clin d'oeil amical de Jean Thenaisy en me voyant m'installer en bout de la longue table avec Didier L., Claude H. et Pascal. Nous discuterons des trous noirs et de l'agriculture biologique, bien loins de la prochaine conférence, la quinzième, qui sera consacrée à la femme du XXIe siècle, sujet bien mystérieux pour moi, qu'elle soit d'ailleurs du XXe ou du XXIe siècle !