page précédente (j'en ai marre aussi des nez rouges) Mardi 20 novembre 2012 page suivante (Tout est neuf) retour au menu
Mes amis en ont marre des digitales

J'avais pourtant prĂ©venu il y a 5 mois : Le silence de ce journal n'est pas un silence dĂ©cidĂ© qui signifierait "j'arrĂȘte ce journal". Il est le rĂ©sultat d'un choix fait de vivre mon prĂ©sent au prĂ©sent ce qui rend difficile de s'arrĂȘter pour "raconter".
Certes 5 mois, cela doit ĂȘtre un de mes plus longs silences en ligne depuis novembre 2004, mais la vie est toujours lĂ , avec tout ce qui se succĂšde dans le monde et chez soi, Ă  l'intĂ©rieur comme Ă  l'extĂ©rieur, chacun avec son point de vue d'une rĂ©alitĂ© qui lui Ă©chappe fondamentalement et qu'il vit plus ou moins bien, qu'il invente ou interprĂȘte avec les moyens limitĂ©s du bord.

Je vais trĂšs bien en ce moment mais il n'est pas possible de rĂ©sumer cinq mois comme cela en agitant ses doigts sur le clavier. Je ne pourrais faire Ă  la rigueur qu'un choix dans ce que je me souviens au moment oĂč j'Ă©cris, mĂȘme aidĂ© par un semblant d'agenda (carnet noir) et de journal (cahier jaune) que j'essaie de tenir justement pour ne pas tout oublier, et par les photos que je continue de prendre, mais beaucoup moins frĂ©nĂ©tiquement qu'auparavant et en y accordant beaucoup moins d'importance, prĂ©fĂ©rant surtout les gens que je rencontre ou avec lesquels je passe quelques temps ou repas, famille ou amis ou inconnus, et que j'Ă©coute, surtout s'ils parlent de leur difficultĂ© de vivre (les gens qui trouvent tout formidable et sont trĂšs heureux, mĂȘme s'ils ont peut-ĂȘtre raison et que c'est peut-ĂȘtre vrai pour eux, ne m'intĂ©ressent pas trop ou au pire m'Ă©nervent, et de plus n'ont pas grand chose Ă  dire d'aprĂšs ce que j'ai statistiquement observĂ©. La bĂ©atitude et l'extase ne sont pas mes genres favoris) et profite de leurs sourires ou de leurs larmes, partageant surtout leur non-dit, m'abandonnant en quelque sorte Ă  l'ivresse passagĂšre de la convivialitĂ©.

Les photos ? Tout le monde en accumule des milliers depuis le numérique, ce à quoi je ne vois rien à dire, mais de là à se sentir obligé de les mettre en ligne ! R.J. Pittmann, directeur produit des services Consumer Search de Google, en estime le nombre disponible à l'heure actuelle en ligne sur Internet à mille milliards.
Je demande juste : et alors ? Outre la performance technique et la gabegie Ă©nergĂ©tique pour les stocker (et les sauvegarder de quoi ?) en quoi cela fait-il avancer le monde ? En quoi cela peut-il constituer un progrĂšs, sachant que la plupart sont des photos mal faites ou sans intĂ©rĂȘt (et humainement non visibles toutes) ?
De quoi peut-on ĂȘtre fier d'en annoncer des montants astronomiques sur un disque dur comme on annoncerait le fric sur son compte en banque, comme je l'ai fait Ă  une Ă©poque, alors qu'on devrait en ĂȘtre effrayĂ© et triste (d'en ĂȘtre arrivĂ© lĂ , Ă  un stade qui n'est pas encore le stade ultime, puisqu'un jour de la naissance Ă  la mort, la vie de chaque individu sera filmĂ©e en Haute FidĂ©litĂ©, et on lui refilera la cassette pour la visionner dans sa tombe) ?
Tout le monde sait bien que la plupart des heures d'une journĂ©e sont inintĂ©ressantes en elles-mĂȘmes et ne mĂ©ritent pas qu'on s'y arrĂȘte ni qu'on les fixe.
Là j'ai fait la vaisselle, là je suis allé faire pipi (vous voulez voir ?), là je me suis fait un café, là.... ça ne vous rappelle rien ? Les retours diapos des vacances ? (au moins on en profitait pour passer une soirée ensemble avec les enfants, les voisins ou les amis!)...

De mĂȘme je privilĂ©gie aujourd'hui la communication personnelle par courrier postal (que je n'ai jamais stoppĂ©e) ou Ă  la rigueur par mails et fuis tout en m'en retirant progressivement le vaste brouhaha et chaos que je regarde aujourd'hui d'un oeil aussi sceptique et déçu qu'amusĂ©, que constituent les blogs, twitter ou Facebook et j'en passe.

Ils ont pourtant bien tenu leur promesse, mais celle de l'enfer. Tout instantanĂ©, tout tout de suite, sans recul ni rĂ©flexion, l'important est "d'y ĂȘtre", " en faire partie ", qu'on s'y montre pour qu'on s'y regarde, pour croire exister et espĂ©rer une preuve qu'on est...
Silence interdit. Il faut que ça cause, que ça verbiage, que ça photographie, que ça filme, que "ça dise"... Tout le monde est devenu écrivain, photographe, cinéaste (vidéaste ou je ne sais plus quoi)...et se croit, quelle catastrophe, artiste avec un grand A.
Ces millions de gens qui croient ne plus ĂȘtre seuls et ne vont plus mourir et espĂšrent qu'il restera bien " quelque chose" de tout cela.(j'ai mĂȘme lu quelqu'un qui espĂ©rait que tout ce qu'il a fait sur Internet soit Ă  sa mort stockĂ© Ă  la B.N.F.) !
Je dirai face Ă  ce dĂ©sir de pseudo-Ă©ternitĂ© et de reconnaissance, qu'une copie de son site sur DVD peut toujours ĂȘtre jointe Ă  l'urne funĂ©raire que viendront chercher les enfants et la compagne en pleurs dans le meilleur des cas. Au moins, s'ils veulent savoir un jour qui Ă©tait leur pĂšre, ils auront les documents !

. .

Je préfÚre aujourd'hui la communication privée, intime, personnelle, les petites tables plutÎt que les banquets, le chuchotement que les cris. On dira avec raison : je vieillis et suis sur la pente qui ne remonte jamais. Cela ne me dérangera pas, je le sais et c'est vrai.

Il ne restera rien. Dans 4 milliards d'années, c'est une certitude, le systÚme solaire explosera.
La seule chose crédible est que nous sommes là temporairement et que nous sommes encore vivant au jour d'aujourd'hui. Nous n'avons que cela. N'oublions pas de dire à ceux qui sont encore avec nous et que nous aimons de leur dire que nous les aimons.
Et faisons chacun ce qu'on estime avoir Ă  faire, et peu de comptes sont Ă  rendre.

- Papa, viens...
- attends, je fais des photos pour mon blog, je répare ma voiture.


Je ne rĂ©sumerai donc pas bien les derniers cinq mois de ma vie. Je n'effleurerai que mes Ă©tats de santĂ© fluctuants, allant de l'alerte hospitalisante Ă  l'apaisement et l'espoir jouissif, ni de mes voyages (malheureusement pas aussi frĂ©quents et lointains que j'aurais aimĂ© car limitĂ©s par mes moyens financiers), des expositions, musĂ©es ou galeries visitĂ©s, des amis vus chez eux ou qui sont venus chez moi. En fait je me souviens surtout des bons moments passĂ©s avec eux Ă  rire, d'une semaine formidable en aoĂ»t passĂ©e Ă  Ouessant au salon du livre insulaire, de certaines soirĂ©es et repas, de mes travaux Ă  la maison oĂč j'ai refait ce qu'on pourrait appeler " la dĂ©coration ", maniĂšre de prĂ©parer la taniĂšre oĂč l'on va passer un long hiver en solitaire, et des longs moments mais agrĂ©ables passĂ©s Ă  faire des recherches pour Ă©crire un article sur l'histoire de l'abbaye de Thiron-Gardais et sur l'histoire de la maison des Comtes du Perche de Mortagne, et pour faire la maquette d'une brochure pour l'exposition d'Edouard Fauve.

. .

Je me rends bien compte que le principal n'est pas lĂ , bien sĂ»r, et que l'Ă©vocation prĂ©sente d'un passĂ© rĂ©cent ne parle que d'ici aujourd'hui oĂč je suis.

On a tous vu sur Facebook, twitter... Il y a 57 mn, 43 mn, 34 mn, 31 mn, 23 mn.... et ce du matin au soir.
Mais quand travaillent-ils ou ne sont-ils pas en train d'envoyer des messages ?
Quand vont-ils faire leurs courses ?
Quand font-ils leur lessive et la cuisine ?
Ils les font, mais sans quitter leur tĂ©lĂ©phone mobile bien sĂ»r, qu'ils emmĂšnent avec eux mĂȘme dans les toilettes, en marchant dans la rue etc.)
Je pense Ă  Alien. Cela ne se voit pas de l'extĂ©rieur (et encore la machine ou l'Ă©cran ne sont jamais loin), mais ils portent en eux les oeufs de la bĂȘte... Ils sont contaminĂ©s, en sommeil certes, jusqu'au jour oĂč ils en crĂšveront, devenus de toute façon incapables de vivre hors ou sans elle. Ils sont d'abord connectĂ©s, branchĂ©s, et ensuite ils font le reste, semblant de vivre, alors qu'ils ne sont que des antennes dĂ©guisĂ©es attendant le prochain message.



Tout cela explique mon silence sur Internet mais je dois dire, en guise d'explication supplĂ©mentaire du " silence " de ce journal, que j'ai repris la peinture et l'Ă©criture, activitĂ©s qui pour moi demandent beaucoup de temps et de disponibilitĂ©. J'essaie de travailler quotidiennement. Pour l'instant rien d'intĂ©ressant qui puisse intĂ©resser qui que ce soit. Cela ne me gĂȘne pas, au contraire puisque dans cet espace-lĂ , malgrĂ© la peine et la difficultĂ©, j'y suis bien et n'ai jamais l'impression de perdre mon temps.
Dans ce champ-lĂ  je n'ai plus de temps et j'ai donc tout mon temps.
Le principal est lĂ . Travailler, ne pas baisser les bras, et ne pas me poser de questions inutiles.
Enfin, beaucoup de temps passĂ© aussi Ă  lire et relire (je sais, d'une maniĂšre ringarde et dĂ©passĂ©e, des livres papier, oĂč je continue de souligner des phrases avec un crayon Ă  papier lui aussi).
Je sais combien je ne suis plus (du verbe suivre) les options prises par le monde d'aujourd'hui, et je rĂ©alise combien je me suis laissĂ© dĂ©passer et dĂ©possĂ©der du monde d'oĂč je viens. Je ne parie plus sur rien (mĂȘme au loto !) et n'ai comme vision d'avenir pour l'espĂšce humaine qu'un chaos mais forcĂ©ment spectaculaire, chouette!).
En attendant, je continuerai d'utiliser Internet, pour ce qu'il m'est utile et irremplaçable aujourd'hui ici Ă  Thiron-Gardais (recherches, bases de donnĂ©es, informations, sources et documents etc...), mais pas pour ĂȘtre ni exister.

Voilà aux quelques amis et amies fidÚles d'Internet ce que je pouvais dire aujourd'hui, réponse en fait provoquée hier par celle qui signe toujours m :
" un iota
un truc abscons
un mot
une photo du marronier
sans commentaire
pour en finir
avec les digitales
je vous en prie
m "

C'est un vilain défaut je sais que de ne pas savoir résister aux priÚres.
En guise de pénitence, je vous indique le morceau que j'écoute chaque matin en me levant et dont je n'arrive pas à me lasser pour l'instant (car on se lasse toujours un jour), tellement énergisant. Version originale et non coupée :


Ce n'est que MAINTENANT que je vais parsemer ce texte de quelques images de ces derniers mois puisqu'il semble que beaucoup d'internautes ne supportent pas longtemps un long texte sans images !
Je terminerai par celle-ci qui contient beaucoup plus que ce que l'image banale d'un New-York la nuit montre d'habitude. C'est une photo du cubain Edouardo Munoz de l'agence Reuters, parue dans le magazine préféré de Caroline.L.

Photo prise lors du passage de l'ouragan Sandy Ă  New-York (en voir un choix d'impressionnantes).
La seule tour qui reste illuminée et dispose d'un générateur plus puissant et mieux protégé que les autres de New-York, est celle de...la banque Goldman Sachs.
Plus fiable que la B.N.F. pour garder post-mortem son site, non ?