L'incendie du Bourg n'est pas l'incendie du Hilton, mais cela y ressemble.
On le comprend tout de suite en le regardant :
s'il s'agit bien d'un incendie
(si on se fie au titre) il y est bien, mais pas au premier plan, et il faut le chercher pour le trouver ! Visiblement dans l'incendie du borgo l'incendie
n'est pas le sujet La place qu'il occupe (sur 6,70 mètres) dans la peinture
n'est pas plus importante chez Raphaël que celle des flammes, de la fumée ou des pompiers dans les 183 pages du livre de François Bon. | |
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Des pompiers ? On aurait du mal à les trouver. À la rigueur on voit
dans le tableau quelques personnes qui s'occupent
d'en mettre dans divers récipients, mais on ne voit personne aller la jeter sur les flammes, et ils n'en prennent pas la direction. Et c'est pas la beauté à droite,
(une canéphore), robe gonflée au vent qui va éteindre le feu, ou alors d'une manière
trop élégante pour risquer un jour d'être engagée comme secouriste !
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Bref, dans l'un comme dans l'autre il faut chercher le sujet ailleurs que dans le titre. Curieux, journalistes, télévisions, reporters...
circulez y'a rien à voir, allez voir ailleurs si j'y suis ! Pourtant dans ce tableau, il s'y passe bien quelque chose et dans plusieurs endroits
: devant le bourg en flamme (1er plan avant les colonnes), et ailleurs sur la place.
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Si on fait un tour sur la place qui a pour fond la basilique Saint-Pierre, on voit sur un balcon le pape en train,
de donner sa bénédiction à la foule (tous les papes sont comme ça, ils ne peuvent pas s'en empêcher !).
Certains se retournent vers lui, l'acclament , d'autres agenouillés se recueillent et prient, quelques uns
s'en foutent (et même lui tournent le dos comme la personne qui descend l'escalier),
une autre promène ses deux gamins...
Bref, une place quoi, où chacun vaque à ses occupations et sans rapport apparent avec l'incendie, et qu'on oublie même complètement.
Dans le tableau, question proportion,le pape est tout petit. De plus, c'est lui et ce n'est pas lui, un pape en cache un autre.
celui qui est peint c'est Léon X, le pape régnant qui commanda le travail à Raphaël, mais celui qu'il représente est en fait Léon IV.
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Car quand on se renseigne, le véritable sujet du tableau devait être l'illustration et le rappel que selon la légende,
dans ce quartier qui s'enflamma en 847, le pape Léon IV avait juste avec sa bénédiction arrêté l'incendie. Une sorte de miracle.
Et c'est là encore que le tableau surprend et qu'il a fait grincer des dents, : le pape est tout petit, et le tableau ne dit en rien que l'incendie,
a arrêté le feu (sur le tableau dans le bourg ça brûle encore ).
Rien ne permet de faire un lien entre le pape et l'incendie, ni de comprendre le miracle. Là encore, il semble que ce n'était pas l'important pour Raphaël et
que ce n'était qu'un prétexte.
Stendhal se montre sceptique et se dit choqué : |
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Taine aussi fait semblant d'être déçu et voit bien le problème de ce tableau . Dans Voyage en Italie on lit : |
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La description qu'il fait par la suite de ce qui se passe au premier plan sur la gauche vaut son pesant d'or |
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Taine fait l'andouille. Il sait que le personnage nu portant son père est une citation littéraire : Énée quittant Troie en flammes
et que son père est Anchise et que devant lui c'est Ascagne (appelé également Iule). L'athlète gymnaste est un hommage à Michel Ange etc...Taine plus loin redevient sérieux et montrera l'originalité du travail.
On commence à comprendre que l'incendie du Borgo et l'incendie du Hilton se ressemblent: le titre évènementiel n'est qu'un prétexte et ne
constitue en rien le sujet de la peinture ou du livre. Le vrai sujet est la peinture pour l'un et la littérature pour l'autre. Une question de construction,
de forme, d'architecture, d'équilibre, une manière de remettre en cause les formes classiques de la peinture et de la littérature .
Raphaël travaille sur la scénographie, la symétrie, tout en peignant des personnages souvent artificiels dans leur posture, entièrement dévoués à la composition.
Il faut lire le texte d'Élie Faure (Histoire le l'art- Art renaissant) " L'arabesque dit les flux, reflux, élans et chutes, les repos et les efforts, tout en laissant à
chacun des éléments leur personnalité et leur fonction. Chez Raphaël, les formes,
les gestes et les corps se répondent, le trait se libère par la succession des plans et des modelés.
L'unité d'expression de la ligne, de la masse et de la couleur s'affirme.
La gloire de Raphaël tient à ce qu'il affirme que l'individualisme ne peut pas habiter le désert."
Chez François Bon la recherche est comparable sur de nombreux points : successions et mélanges des décors, des fragments architecturaux,
de plans, d'images, de dialogues, de réfléxions, éclatement du réel
afin d'y faire émerger une sorte d'unité vivante.(déjà travaillé dans Tumulte)
Il me semble que face à l'incendie du Hilton et face à l'incendie du Borgo, l'écrivain et le peintre ont choisi une démarche similaire,
qui propose au lecteur ou au spectateur une reconstruction du monde et du sensible à partir d' éléments éclatés, simultanés, dispersés
dans différents points de vue et perspectives... Ce que Sabine Frommel spécialiste de la Renaisance appelle une conception "polynucléaire".
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