Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
jour précédent dimanche 04 mai 2008 jour suivant retour au menu
Hier soir, je suis rentré le plus heureux des hommes,
je venais de sauver la vie d'un homme.

Je sortais d'un restaurant de Nogent le Rotrou, il était 11 heures et quart du soir environ, nuit, place du 15 août, quand la personne assise à côté de moi me dit : " qu'est-ce que c'est que ce feu ? "
Je mets mon clignotant et me dirige vers , en effet, des flammes.
À dix mètres des flammes, je n'en crois pas mes yeux.
Un homme est assis sur un banc. Un sac à côté de lui brûle, et lui aussi.
On me demanderait un dessin, je ferais celui-ci :
Assis il est en train d'éteindre des flammes sur la manche de sa veste, et a les cheveux en feu.
C'est difficile bien sûr de dire ce qui se passe dans sa tête à ce moment-là mais la mienne ne me sort que le mot bonze.
Je freine, et me précipite, avec ma passagère, sur le type.
Ses cheveux sont complètement en feu. Son sac encore plus.
J'éteinds avec mes mains les flammes qui couvrent son crâne. Le type est immobile, se laisse faire, ne réagit pas à mes claques, ne dit rien.
On s'attaque ensuite au sac, très enflammé et à coups de pieds, d'un carton d'une boite de gâteaux enflammée elle aussi, nous éteignons comme nous pouvons. On tape, on piétine...
À côté le type ne dit toujours rien. Puis il se lève.
Je prends la parole :
- Mais c'est quoi ça ? tu voulais mourir ?
- Non.
- Ben alors c'est quoi ce feu ?
- Je ne sais pas.
- Mais tu t'es pas aperçu que tu brûlais aussi ?
- Non.
(en pointant sa brûlure du crâne que j'observe, c'est pas beau du tout )
- Ça ne te fait pas mal ? (il y porte sa main)
- Non.
- Pourtant c'est bien brûlé. Au ras de la peau,...Tu n'as plus de cheveux... Mais tu ne te rends pas compte, dans cinq minutes t'aurais été une torche, t'aurais hurlé de douleur, et tu n'aurais même plus pu t'éteindre toi-même...
- Merci.
- mais t'es sûr que tu ne voulais pas mourir ?
- oui.
- T'as allumé une cigarette ?
(hésitation)
- Oui.
- Mais tu as pas vu que t'avais mis le feu ?
- Non.
(regardant l'état du désastre)
- Mes vêtements sont brûlés... c'est tout ce que j'avais...
- Bon écoute, on va trier.
On défait le sac. Lui reste immobile, droit comme un poteau sur le banc.
Pas mal de pulls, de T-shirts, de chaussettes sont en train de de consumer. On étale, on piétine. On trie.
L'image d'un film, quand un cheval blanc traverse une ville en courant, la queue en flammes me passe dans la tête.
Je pense en même temps : " c'est fou ce qu'on a dans la tête ... peut être un vieux Franju..."
À cinquante mètres, y'a quatre ou cinq personnes, depuis le début, je m'en rends compte maintenant, qui regardent entre notre direction, sans bouger , ni même venir depuis qu'on est là depuis qu'ils nous voient nous agiter.
Je pense : même sans nous, ils l'auraient laisser cramer
- Tu t'appelles comment ?
- Christian.
- Moi c'est Jean-Claude, (on se sert la main), et elle c'est Marie-France .
- C'est le,prénom d'une de mes soeurs.
- T'as de la famille ?
- Oui, deux soeurs à Paris.
- Alors pourquoi tu es là ? T'es un SDF ?
- Non.
- T'es dans la rue depuis combien de temps ?
- Une semaine...
- Alors pourquoi tu es là ?
- la femme avec qui je vivais m'a fichu à la porte.
- Tu veux la revoir ?
- Non.
- Alors, tu dois aller à Paris voir tes soeurs. T'es fâché avec elles ?
- Non, mais y'en a qu'une que je vois...
- Alors tu vas chez elle.
- Oui.
- Tu vas y aller comment ?
- En train.
Ce qui m'étonne c'est son calme, son langage clair. Il parle très bien mais ne semble pas être là.
- Tu as des sous pour prendre le train ?
- Non.
- Ben alors (question bête) comment tu vas faire ?
- Je ne sais pas.
- T'as un boulot ?
- Non.
- T'avais un travail ?
- oui...dans la restauration...
Je réalise que je suis en train de parler avec un type qui il y a cinq minutes se laissait brûler sans bouger.
Il répète :
- Merci.
- Je le prends par l'épaule.
- Nous sommes tous des frères...(c'est plus fort que moi)
-Oui, merci.
Il est debout. Je lui explique qu'il faut nettoyer tous ces trucs brûlés par terre sinon les flics vont l'emmerder. On avise une poubelle. On fait deux allers et retours.
Il dit encore merci. Je continue.
- Mais tu ne te rends pas compte que sans nous dans cinq minutes t'était mort ?
- Non.
Il se gratte la tête.
- T'es sûr que ça ne te fait pas mal ?
- Non.
- Si demain ça saigne ou si ça te fait mal, faut aller à l'hôpital. Tu demandes les urgences, ils te feront un pansement.
Il dit oui.
- Comment tu vas trouver des sous ?
- Je dois voir lundi matin deux personnes...
- Elles vont t'aider ?
- Oui.
Les spectateurs à trente mètres s'en vont. C'est normal, y'a plus de flammes, donc y'a plus rien à voir.

On le laisse. Je fais demi-tour cent mètres plus loin.
- J'ai deux grands sacs dans mon coffre, je vais lui donner, son sac est fichu.
Il est là immobile, le regard droit devant lui, comme si rien ne lui était arrivé.
Je suis sûr qu'il n'a pas bu, qu'il n'est pas drogué. Il est simplement absent. Pas là. En état de choc. Mais de quel choc ? je ne suis pas sûr que c'est celui de l'incendie.
Il transvase les vêtements qui restent dans mes sacs, redit merci.
On le laisse.
Ma passagère est silencieuse, comme choquée aussi. Elle n'en revient pas. " Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? " Je lui réponds :
- Je ne sais pas, mais je suis très heureux, j'ai l'impression que j'ai sauvé la vie d'un homme. C'est formidable non ?

En rentrant à Thiron-Gardais, je comprends l'excitation des secouristes, des pompiers, des urgentistes. L'impression d'avoir été utile, être content d'avoir été là à ce moment-là, quand il fallait, d'avoir sauvé la vie d'un homme, à quelques minutes près.
Je pense aussi : en tout cas on l'a sauvé pour ce soir.
Je décide que demain matin, dimanche, en allant voir ma mère, je passerai pas Nogent voir s'il est là.
Il n'était plus là.
Un couple passe devant le banc normalement. Ils ne voient rien de spécial.
Je revois tout : le morceau du banc brûlé où était le sac avant que M.F. le mette par terre, les traces laissées au sol où elle l'avait jeté.
Je vais à la poubelle, où je vois les restes de chaussettes et du beau pull qu'on a jeté car les manches étaient brûlées,(le reste de la poubelle est rempli de restes, je le sais, car elle était presque vide à mon premier voyage) et à côté le sac à moitié fondu qu'il a donc jeté après notre départ.
Dur moment plus tard, en me disputant avec ma mère qui me reproche de ne pas avoir appelé les pompiers, qu 'ils s'en seraient occupés et l'auraient emmené à l'hôpital... chose qui va peut-être m'attirer des ennuis plus tard etc etc blablabla...
Plus elle insistait, plus j'avais tord de lui dire que je m'en foutais d'avoir des emmerdements, que j'étais fier d'avoir empêché un homme de brûler.
J'aurais peut-être dû appeler les pompiers, certes, la prochaine fois j'y penserai.
- Mais maman..., on ne rencontre pas tous les jours un homme qui brûle, on n'y est pas préparé.
- La prochaine fois, j'essaierai de me dominer Maman, et de penser aux pompiers...
Est-ce de ma faute si sur le coup, je n'ai vu qu'un cheval au galop affolé, la queue en flamme, et qui traversait la ville ?
Je suis content de moi de ne pas avoir eu peur et pas hésité une seconde,
que le discours sécuritaire à la mode, qui fout la paranoïa à tout le monde, qui rend le voisin, l'étranger, le clochard, le SDF...potentiellement dangereux par principe...n'aie pas d'emprise sur moi.
Preuve à l'appui.
J'ai dormi comme un loir jusqu'à dix heures du matin.