Mardi 4 septembre 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
Y'a des écrivains partout, même à Tahiti
même s'ils ne sont pas connus...
et : le formidable coup de gueule de François Bon
ou : comment en prendre pour son matricule !

Partout dans le monde, j'ai rencontré des écrivains, des amis qui écrivaient, des qui ont publié, des qui espèrent...et lors de mon long séjour en Nouvelle-Calédonie (11 ans au total) j'ai eu l'occasion d'en rencontrer aussi.
Mais cette expérience que l'on dit de " l'outremer " fut à ce sujet très spéciale. Des écrivains oui il y en a, mais des vrais et des bons pas tant que cela. Les mauvais ont tous des caractères communs à mourir de rire ou à pleurer selon les jours.
Ils croient qu'ils sont écrivains parce qu'ils écrivent et surtout parce qu'ils le disent et qu'ils ont les moyens d'imprimer sur les imprimeries locales, à prix d'or, leurs livres à compte d'auteur, et en vendre quelques-uns à la librairie locale, à des prix encore plus exhorbitants. On fait un vernissage avec les copains du coin, le journaliste local, si possible un universitaire local (ça c'est une sacrée caution !), et voilà : on est écrivain !
Je peux en parler, je l'ai fait quand j'y étais, même si ça s'est mal terminé pour moi, avec articles diffamatoires dans une feuille de chou locale, et silence radio de la part des soi-disant intellectuels et écrivains locaux...On peut dire aussi qu'en France, y'en a aussi beaucoup qui se disent écrivains parce qu'ils l'écrivent , et que la confusion entre dire et faire, l'être et l'avoir est très prisée en ce moment...
Mais ce qui est insupportable, c'est que le reste du temps, ils le passent à gémir et se plaindre que la métropole (la Mère chérie et providentielle) ne veut pas les reconnaître et ne parle pas d'eux, à supplier les autorités locales de leur filer des billets d'avion pour aller à la semaine du livre de l'outremer au Ministère et à la semaine du livre à la porte de Versailles.
Il faut dire qu'il vaut mieux en effet, sous ses climats chauds, s'adonner à la littérature plutôt qu'à l'alcool ou le canabis ou à la politique, solidement vérrouillée sous ces latitudes depuis des lustres. Pas question non plus, de subir la moindre critique. (c'est quoi la critique, dans un pays vérrouillé depuis des décennies ?). À la plupart, je leur conseillerais de s'adonner d'abord à la lecture, faudrait peut-être commencer par là. Des soi-disant écrivains qui n'ont jamais rien lu, c'est bizarre, mais ça m'étonne toujours.
Si certains de ces mauvais-là me lisent, ce dont je doute, si peu convaincus de l'importance d'Internet, je leur dirais seulement : vous-êtes vous demandé pourquoi vos livres ne sont pas connus, ni lus ? (Et surtout arrêtez de vous abriter en disant que c'est parce qu'ils coûtent chers.) J'ai bien mon avis, entre autre que ce qu'ils écrivent est tout simplement mauvais, sans intérêt, n'osant jamais se frotter à l'histoire de la colonisation, aux privilèges acquis ni au pouvoir en place, je dis entre autre parce qu'il y a bien d'autres raisons et la réponse complète serait plus complexe que cela...
Mais je m'arrête parce qu'aujourd'hui, c'est pas de çela que je voulais parler... (Mais c'est plus fort que moi quand je pense à la Nouvelle-Calédonie, en précisant quand même, qu'il y a là-bas quand même (bis repetita), deux ou trois écrivains qui méritent ce nom, j'en ai cité plusieurs et plusieurs fois dans ce journal).

Je voulais parler des écrivains tahitiens.
Comme partout, à Tahiti comme en Nouvelle-Calédonie, il y a la clique des pingouins et pingouines de service, qui continuent, pour les poètes par exemple, de se pamoiser devant la couleur des hibiscus et la douceur du vent dans les palmes, et il y a les bons, les vrais, ceux qui mériteraient (et qui le seront donc un jour) être connus et reconnus.
Donnons quelques exemples .
Jean-Marc Tera'ituatini Pambrun
Il tient un blog (l'écriturien) où l'on peut lire dans sa biographie un parcours musclé, celui d'un homme qui était déjà bien debout dès sa jeunesse estudiantine à Paris.
La cinquantaine, une belle gueule mais surtout une grande gueule, et que l'a chèrement payé. Aujourd'hui un peu calmé mais genre sage et profond.
Il a publié pas mal d'articles ou de bouquins variés, mais toujours un peu à droite et à gauche, où il a pu, où on a bien voulu de lui. On peut en trouver la liste sur Internet, qui montre l'étendue de son champ d'action (ethnologie, pamphlets, légendes, théâtre, nouvelles, essais, articles, poèmes, romans...), malheureusement publiés dans des éditions la plupart locales, ce qui n'empêche pas de montrer les cordes de son arc puissant.
Je conseillerais son roman Le Bambou Noir (Papeete, Éditions le Motu, 2005, 210 pages.) qui raconte l'histoire d'un artiste polynésien raté et Les parfums du silence, une excellente pièce de théâtre sur la journée qui a suivi la mort de Gauguin, écrite sous le nom d’Étienne Ahuroa, ( Papeete, Éditions le Motu, 2003, 95 p.) et qui lui a valu le Prix Fiction 2004 au Salon du Livre Insulaire d'Ouessant.
Depuis août 2005, nommé Directeur du Musée de Tahiti et des Îles, Te Fare Manaha, il se consacre aujourd'hui à l'écriture.
On peut lire en attendant son prochain livre, une très belle étude qu'il a signé sur la littérature polynésienne et le statut difficile de l'écrivain polynésien (colonisé et citoyen d'une jeune nation en formation) sur le site incontournable île en île.


Chantal Spitz
Je l'avais rencontrée lors de sa venue en Nouvelle-Calédonie et j'avais été très impressionné par cette femme peu ordinaire.
La cinquantaine, l'écrivain maohi par excellence, une rebelle, indépendantiste, au sale caractère, qui nous (les blancs) nous traite tous de colonialistes, fout la merde dans tous les colloques, mais écrit une belle langue française avec une âme polynésienne.
Elle avait poussé une gueulante devant les universitaires nouméens dont je me souviens avec plaisir, et qu'ils doivent bien vite avoir oubliée. Je m'étais bien amusé avec elle dans les couloirs.
Elle m'avait dédicacé son premier roman, publié en 1991, réédité en 2003 aux éditions Au vent des îles, et qui s'appelle L'île des rêves écrasés. On comprend tout de suite. C'est une histoire d'amour impossible à Mururoa entre une femme qui travaille à la base nucléaire et un Polynésien. Ça avait à sa sortie, suscité de nombreuses réactions, on s'en doute, y compris des condamnantions et injures frénétiques, sans parler des courriers et menaces anonymes...
Depuis elle vit aujourd'hui en anonyme sur un motu (petite île) à Huahine. On la comprend.
Elle m'avait dédicacé aussi son deuxième livre, vraiment " superbe ", à " lire absolument " qui s'appelle Hombo, et qui est la transcription d'une biographie. (Papeete: Éditions Te Ite, 2002.). Elle y utilise les temps d'une façon qui n'appartient qu'à elle. Aucun futur, juste un présent tout Polynésien, pas de virgules, juste des phrases balancées et que l'on prend en pleine poire.
Certains parlent d'elle, comme pour l'excuser, de "l'enfant terrible de la littérature polynésienne".
Elle vient de sortir un livre d'humeur, fourre-tout où elle mélange la politique et le reste. Un vrai écrivain, pardon, une vraie écrivaine.
Pour ceux que cela intéresse il faut lire son court essai sur Pierre loti qui est en ligne (qu'est-ce qu'il prend le pauvre !). Ils comprendront vite la dimension de cette femme et à qui ils ont affaire.
Ils peuvent lire aussi un entretien très intéressant et une fiche assez complète la concernant et, comme sait toujours le faire île en île et où on apprend qu'elle écoute du jazz, des chants grégoriens et Tino Rossi !

Qu'attendent donc nos découvreurs professionnels, comme on en voit de temps en temps défiler dans ces pays-là (et je sais de quoi je cause), au nom d'un grand éditeur, et qui au lieu de chercher à rencontrer les écrivains du coin, passent leur temps à sauter les jolies autochtones, ou en désespoir de cause, les petites bourgeoises friquées en mal de littérature ?
Calmons-nous et lisons Chantal Spitz : le début d'un de ses textes intitulés francophonie :
" Francophonie. Sophistication d'une nouvelle imposture. Paternalisme qui se déguise de morale charité dévouement miséricorde délicatesse bienfaisance protection générosité abnégation solidarité altruisme. Parodie d'un bienséant humanisme. Sournoise invasion qui se décore de valeurs universelles pour nous soumettre ensemble, actuels colonisés et colonisés émancipés, à l'admiration à la fierté d'une langue qu'ils revendiquent la plus belle du monde. Ô infatuation gauloise... Impérialisme d'une nation qui prétend subordonner la belle littérature la belle culture à l'accomplissement de la langue française, excluant ainsi l'originalité la singularité la distinction de chaque Autre. Mise sous tutelle des esprits plaidée alliance française coopération française présence française. Ils se dévouent s'aventurent s'expatrient s'arabisent s'africanisent s'asiatisent s'orientalisent se tropicalisent pour consoler secourir assister les populations désarmées rachitiques infantiles et les élever les améliorer les consolider dans leur humanité. Ô grandeur de ces âmes... Nous voici protégés colonisés territorialisés départementalisés subventionnés dirigés administrés organisés gérés contrôlés pour notre épanouissement. Nous voici parlant lisant pensant commentant raisonnant philosophant calculant écrivant dissertant composant pour notre enrichissement. Ô grâce de cette bienveillance..."
La suite et la fin sont à copier, anthologiques !
" Je suis insensible à la francophonie elle n'est pas mon inquiétude ni ma préoccupation je m'en suis sciemment libérée en ne me sentant pas redevable à l'état colonisateur de la langue française. La langue française est ma langue, une de mes langues, non parce que je suis française mais parce que mes parents ont décidé de me la donner. La francophonie ne me concerne pas je ne m'y reconnais pas ni ne m'y retrouve. L'histoire m'a produite parlant-lisant-écrivant de langue française elle ne m'a pas façonnée sentant-pensant français. Je ne me sens pas liée aux parlants français sous prétexte de francophonie. Je ne me sens pas liée aux pensants français sous prétexte de langue commune. Je me sens délibérément liée à tous les pensants colonisés à tous les sentants meurtris parce que leur histoire est la mienne leur déchirure est la mienne. Ô la puissance de la semblance... "
Je vous ai prévenu, cette femme n'a pas gardé sa langue dans sa poche.
Pour moi une grande écrivain (ou écrivaine pour ceux qui préfèrent) !
Lire aussi dans l'écriturien de Pambrun le texte et la page remarquables sur l'écriture de Chantal Spitz. Texte intelligent, brillant, cultivé et qui concerne tous ceux qui sont intéressés par l'écriture.
En recherchant mes photos de Chantal Spitz, je me souviens maintenant, qu'il y avait aussi Didier Daeninckx qui avait été lui aussi excellent, en sortant quelques bonnes vérités et vacheries à certains écrivains locaux trop complaisants avec l'histoire...Il s'était d'ailleurs fait agressé quelques jours plus tard dans la rue, par un caldoche furieux qu'il publie un livre sur les kanak (Cannibale) à l'exposition universelle de 1931...

Jymmy Ly
Né à Papeete, ce chinois d'origine hakka, qui pendant ses études à Paris crée l'Association des Chinois de Tahiti, est un type très original, qui revenu à Tahiti édite à compte d'auteur des nouvelles qui mettent en scène la communauté chinoise à Tahiti.
Beaucoup de tempérament, des maladresses d'écriture, mais quelqu'un qui sait parler de la recherche de son identité et répète que sa vie " n'est pas intéressante ".
Tous ceux qui l'approchent affirment que Jimmy Ly ne ressemble à personne.
Il a publié localement une Autobiographie Bonbon soeurette et pai coco (Papeete: Association Wen Fa / Polytram, 1996, 136 pages.), un essai Hakka en Polynésie (Papeete: Polytram, 1997, 162 pages.) des témoignages (Adieu l'étang aux chevrettes. Papeete: Te Ite, 2003)...
Un type à suivre car il a dire. Son oeuvre littéraire reste à faire? Mais qui va l'encourager ?
C'est un des fondateurs de la revue Littérama'ohi dont une version est en ligne (numéros, sommaires et articles choisis...)

Il existe plein d'autres écrivains à Tahiti, mais ils me semblent fades ou inintéressants.
Par contre il existe aussi des gens qui écrivent et ne publient pas (encore) comme John Mairai, homme de lettres remarquable, personnalité forte ( trop pour certains) et qui écrit des pièces de théâtre et qui mériteraient d'être publiées.
Tout ce que je dis là n'engage que moi bien sûr. J'aurais pu parler par exemple de deux autres femmes comme Teresia Teaiwa et Flora Devatine qui ne sont pas sans intérêt et ne peuvent pas ne pas être citées. Mais il faut bien faire des choix et il se fait déjà tard.

On peut commander certains des livres tahitiens sur Internet, et les autres en allant sur le site des éditeurs locaux à Papeete ou en allant contacter des diffuseurs spécialisés dans les livres du ou sur le Pacifique comme " Pacific Book'in ".
Le site incontournable et le plus complet étant je le répète, pour la littérature du Pacifique île en île (page Pacifique)
Les écrivains de Nouvelle-Calédoniens ont une association et un site (dont j'ai été le créateur et le webmaster pendant longtemps).
La nouvelle version (je ne sais pas qui en est le webmaster) est à mon avis trop chargée et touffue, (on a préféré la forme au contenu, et j'y reconnais bien le côté tape-à-l'oeil qui plaît tant dans ce pays. Et tant de " c'est vrai puisque on vous le dit ! ") mais avec patience, on peut arriver à y trouver certaines informations ou données intéressantes.
Et si vous avez encore du temps, lisez le formidable coup de gueule de françois Bon. Bravo, de tout coeur avec lui ! On ne pouvait mieux dire.