Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
jour précédent vendredi 9 mai 2008 jour suivant retour au menu
Des objets dont on doit se séparer
ou dans les méandres de ma vie.

Ils seront donc là samedi soir à Rémalard, sous la lumière mais abandonnés, eux qui vivaient avec moi depuis dix, vingt ans voire plus longtemps, inquiets avant de commencer, après celle de leurs origines, et la nôtre, leur troisième histoire .
Je vivais avec eux, ils vivaient avec moi, au hasard de mes déménagements autour du monde, de leur voisinage sur un mur ou une étagère, car je ne m'en séparais jamais.
Dans la nuit je les entendais parfois s'apostropher se raconter leurs histoires.

Ça commençait toujours par d'où tu es ?
J'entendais Sénégal, Portugal, Bénin, Papouasie Nouvelle-Guinée, îles Tonga, Australie, Timor, Wallis, Nouvelle-Calédonie, Côte d'Ivoire… et souvent s'ajoutaient des noms de villages, de rivières, de tribus : Sépik, Nokuma, Kéram, Kambot, Kanganaman, Asmat, Papunya, Yoruba, et d'autres que je ne comprenais pas ou imprononçables...
Ils enchaînaient toujours par qui es-tu ?
J'apprenais qu'il faut de tout pour faire un monde, qu'il faut défendre la diversité, toutes les diversités.
Je suis un masque Guélédé, un tapa, un bambou gravé, une poupée Mendi, un bouclier, un étui pénien, un masque baba, un masque tago, une statue faîtière, une planche gope…
Parfois j'entendais plus : je jetais des sorts, je scellais des alliances, j'apportais les bonnes récoltes, je transportais l'âme des morts, je faisais tomber la pluie, je réglais des conflits, je mettais un peu d'ordre dans la société, je racontais des rêves, je cachais le sexe, je protégeais la poitrine, je faisais la guerre, je décorais les maisons, je punissais l'infidèle…

Les plus vieux ne disaient rien, paroles dans leur silence.
Parfois, pour les autres, le silence des étagères ne leur convenait plus et ils se sentaient prisonniers, se lamentaient, pleuraient leur pays, leur climat, leur histoire, leur culte, leur danse ou cérémonie.
Parfois nous partagions notre solitude. Ils savaient aussi, pour certains, que je les avais sauvé de l'oubli, du feu, de la salle des ventes, des termites, reconnaissaient que je leur parlais bien quand je les regardais certains soirs, dans leur pénombre, ou certains matins dans la lumière de l'aube
.
Je me souviens des odeurs de feu de bois de leurs cases humides, les chants de leur village, du fleuve, de la pirogue, des peintures sur les corps, des tams-tams, des femmes qui chantaient en foulant le sol, qui tapaient sur l'écorce.
Je revois les coups de pinceaux, donnés sur leurs corps couchés sur le sol.
J'entends en même temps mon chant d'alors, aux paroles aujourd'hui oubliées.
Ils figurent le fleuve de ma vie aléatoire, les traces dans le sable qui se dépose dans la bosse des méandres de mon existence.
Le méandre a horreur de la ligne droite, il est toujours essai et tentative de passer, jamais définitif, destiné à trouver plus facile…
Ils marquent mon passage dans des pays mal connus, d'îles oubliées, de déserts, d'anciens royaumes, crevant sous la misère ou sous le coup des tempêtes. J'ai toujours su qu'ils étaient plus grands que le petit voyageur qui les emportait.
Je ne sais pas tout ce qu'ils portent en eux, ni les secrets cachés de tout un peuple ou d'une tribu , ni le regard des enfants nus assis par terre qui les ont regarder apparaître du tronc, de l'écorce, de la boue, ou de plantes aux pouvoirs magiques, ni des enterrements, des cérémonies ou des fêtes si compliqués dont ils ont été témoins. Je ne sais finalement presque rien d'eux, étranger à leur monde et croyances qui ne sont pas les miens.
J'entends la nuit les femmes qui tapent la fibre, les enfants qui crient autour, je vois les coups de hache dans le bois qui cherchent la pensée, je vois les mains mystérieusement guidées et qui laissent l'ocre s'étaler sur son support, les vieux qui fumaient leurs pipes.
Je me souviens des moments ou perdu je me demandais ce que je faisais là, pourquoi je voulais cet objet, mais combien sa beauté me faisait mystérieusement frissonner.
Je connais des livres de voyages qui m'ont fait rêver mais ces objets-là m'ont beaucoup appris.
Ainsi comme ses propres enfants, il faut bien un jour les laisser partir.
Je m'en sépare le cœur fendu mais l'âme ravie.
Il est toujours difficile d'arrêter une histoire d'amour.
Longue vie mes objets, je sais que vous vivrez plus longtemps que moi.