Vendredi 13 mai 2005 Hier Avant hier
Feuilleton " l'infâme affaire de Nonancourt" d'après un texte de Saint-Simon, (Mémoires, Tome 13, chapitre XIII), touche no3.(lire no2)

Le vrai château du Duc de Saint-Simon a été acquis en 1635 par son père Claude.
Cela n'aurait pas été évident de le prévoir ni de le prédire.
On ne peut pas dire que c'était écrit "dans l'ordre des choses".
Comme l'écrit Saint-Simon (tome 1, Chapitre IV) :" La naissance et les biens ne vont pas toujours ensemble. Diverses aventures de guerre et de famille avaient ruiné notre branche, et laissé mes derniers pères avec peu de fortune et d'éclat pour leur service militaire. Mon grand-père, qui avait suivi toutes les guerres de son temps, et toujours passionné royaliste, s'était retiré dans ses terres, où son peu d'aisance l'engagea de suivre la mode du temps, et de mettre ses deux aînés pages de Louis XIII, où les gens des plus grands noms se mettaient alors."

Un sacré papa ou : l'irrésistible ascension d'un petit page du Roi.
De son vrai nom, Claude de Rouvroy, comte de Rasse futur Claude duc de Saint-Simon, n'était au départ que le fils d'un seigneur picard ruiné par les Guerres de religion, mais placé au service de Louis XIII, il avait vite su en conquérir l'amitié. Sachant « ne point baver dans le cor du roi » (d'après Tallemand des Réaux) le jeune Claude lui avait apporté quelques bons conseils comme celui de soutenir Richelieu lors de la Journée des Dupes. Son ascension était alors assurée et rapide.
En 1627 premier écuyer de France,
en 1628 Grand Louvetier de France, premier gentilhomme de la Chambre du Roi,
en 1630 gouverneur de Blaye et des châteaux de Saint-Germain et de Versailles,
1633 fait Chevalier des Ordres,
en janvier 1635 il fut porté au rang de duc et pair sous le titre de duc de saint-Simon. Il peut s'offrir le château de la Ferté-Vidame.
Son portrait fait par Voüet en 1634, nous montre un très bel homme de 27 ans et qui a déjà fait un sacré bout de chemin. Le petit page de Louis XIII est devenu duc. Une ascension à faire pâlir de ridicule nos petits énarquillons d'aujourd'hui.
Il s'apprête à acquérir le château de la Ferté-Vidame (ce sera fait le 19 mai 1635) avec des terres pour la somme de 400.000 livres, non sans s'endetter (malgré tous ses revenus cumulés avec ses honneurs titres et promotions successifs).
La Ferté-Vidame, c'est à plus de cent kilomètres de Versailles et de Saint Germain : mais ce nouveau duc n'a pas froid aux yeux, et ce ne sont pas des heures à cheval ou en carrosse qui lui font peur.
(Cette carte nous servira d'ailleurs dans "l'infâme affaire de Nonancourt", et l'on peut déjà repérer cette petite ville située entre Dreux et Verneuil.)
On peut lire de savoureuses allusions concernant cette ascension dans le livre formidable de Georges Poisson (difficilement trouvable, mais que je ne désespère pas encore d'acquérir, et que Oh bonté divine mon ami Edouard de Bueil m'a prêté). Chapitre premier, page 10 :
" Est-ce, comme on l'a souvent dit, une adroite façon de présenter au roi, à la chasse, le cheval de rechange ou de ne point baver dans le cor royal quand on le lui confiait, qui fit distinguer le jeune Claude par le souverain ? Mettons plutôt cette faveur au compte de l'amitié phraseuse, possessive, jalouse, un peu équivoque, que Louis XIII manifestait volontiers aux jeunes gens de son entourage, amitié qui changeait souvent d'objet : " un favori, disait Richelieu, poussait en une nuit comme un potiron." La grande habilité de Claude sera de conserver longtemps cette préférence."
Et Georges poisson de continuer : Et les faveurs de pleuvoir:...

Il est intéressant de voir la version de notre mémorialiste (toujours dans le tome 1, chapître IV de ses Mémoires), c'est assurément plus "politiquement correct" que chez Georges Poisson :
" Le roi était passionné pour la chasse, qui était sans meute et sans cette abondance de chiens, de piqueurs, de relais, de commodités, que le roi son fils y a apportés, et surtout sans routes dans les forêts. Mon père, qui remarqua l'impatience du roi à relayer, imagina de lui tourner le cheval qu'il lui présentait, la tête à la croupe de celui qu'il quittait. Par ce moyen, le roi, qui était dispos, sautait de l'un sur l'autre sans mettre pied à terre, et cela était fait en un moment. Cela lui plut, il demanda toujours ce même page à son relais; il s'en informa, et peu à peu il le prit en affection. Baradas, premier écuyer, s'étant rendu insupportable au roi par ses hauteurs et ses humeurs arrogantes avec lui, il le chassa, et donna sa charge à mon père. Il eut après celle de premier gentilhomme de la chambre du roi à la mort de Blainville..."

En fait Claude est à son apogée. Il ne le sait pas bien sûr, mais son histoire va à partir de ce moment-là pencher du mauvais côté jusqu'à se retrouver carrément en disgrâce. Il s'exilera à Blaye (dont il est gouverneur on l'a dit, et à qui l'on doit l'assèchement du marais blayais) et ne pourra revenir à la cour que pour assister à la mort du Roi Louis XIII.
Il se tient à carreau, bien qu'il ne peut pas s'empêcher de soutenir Mazarin lors de le Fronde. Mais bon...ce qui le tracasse c'est qu'il n'a pas d'héritier mâle et ça le titille. Il se remarie à 67 ans avec Charlotte de l'Aubespine de Chateauneuf .
Ça valait "le coup" : le 16 janvier 1675, naquit notre héros, Louis de Rouvroy, Duc de Saint-Simon, titré tout de suite par son père carrément vidame de Chartres, ce qui à cette époque commençait à craindre...et n'avait plus rien du seigneur du moyen âge qui commandait l'armée de l'évêque et ses biens.

C'est le début des Mémoires, Premières phrases du tome 1, chapitre I :
"Je suis né la nuit du 15 au 16 janvier 1675, de Claude, duc de Saint-Simon, pair de France, et de sa seconde femme Charlotte de L'Aubépine, unique de ce lit. De Diane de Budos, première femme de mon père, il avait eu une seule fille et point de garçon. Il l'avait mariée au duc de Brissac, pair de France, frère unique de la duchesse de Villeroy. Elle était morte en 1684, sans enfants, depuis longtemps séparée d'un mari qui ne la méritait pas, et par son testament m'avait fait son légataire universel.
Je portais le nom de vidame de Chartres, et je fus élevé avec un grand soin et une grande application. Ma mère, qui avait beaucoup de vertu et infiniment d'esprit de suite et de sens, se donna des soins continuels à me former le corps et l'esprit. Elle craignit pour moi le sort des jeunes gens qui se croient leur fortune faite et qui se trouvent leurs maîtres de bonne heure. Mon père, né en 1606, ne pouvait vivre assez pour me parer ce malheur, et ma mère me répétait sans cesse..."

Suivent 20 tomes... Il vint sans doute dès sa petite enfance à la Ferté, tous les automnes, quand son père était là. Son attachement à cette propriété et cette région furent donc tôt inscrits dans tout son être.

Bon, et alors ce château de La Ferté, il était comment ?
Ça vient, ça vient...