dimanche 22 janvier 2006 dernière page Avant dernière page
X poètes au féminin
Un beau livre tout noir qui fait presque objet de luxe. Il donne à lire, à découvrir des poèmes, de la poésie, comment dire...écrits par des femmes choisies avec goût et sûreté.
La quatrième de couverture donne le ton. Ce sont les derniers mots écrits à la craie par Alexandra Pizarnik sur l'ardoise de sa chambre.
En effet, Alejandra Pizarnik s’est donné la mort le 25 septembre 1972 à Buenos Aires, sa ville natale. C'est principalement à Alberto Manguel - qui avait fait la connaissance d'Alejandra Pizarnik en 1967 - que l'on doit de connaître aujourd'hui son œuvre en France. Une œuvre poétique placée au même rang que celle de Borges par ses compatriotes, et très célébrée dans la jeune génération.
Durant son séjour en France où elle était arrivée en 1960, elle s'était liée avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortázar, et avait traduit Hölderlin, Artaud et Michaux...
Sa fiche biobibliographique et les pages qui la concernent sur Terres des femmes donnent envie de la lire toutes affaires cessantes.
Dans X poètes au féminin on trouve une dizaine de poèmes, tirés de Les travaux et les nuits, traduits par Sylvia Baron Supervielle et Claude Couffon, paru initialement chez Granit en 1986.
Sur un exemplaire des Chants de Maldoror, elle avait écrit : « Le souffle de la lumière dans mes os lorsque j’écris le mot terre. Parole, ou présence, suivie par des animaux parfumés ; triste comme soi-même; belle comme le suicide. Et qui me survole comme une dynastie de soleils »
On ne peut aussi que conseiller de lire chez Actes Sud, Collection « Le cabinet de lecture » d’Alberto Manguel, son Œuvre poétique, Traduite de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron Supervielle et Claude Couffon et qui est paru en 2005.
Le cas de Marie-Françoise Praget est mystérieux. Je connais bien ses trois recueils publiés en 1966, 1970 et 1979 : Narcose, Rien ne se perd, Quelqu'un parle, car tous publiés chez mon ami , celui qui manque à tous ceux qui l'ont connu, Guy Chambelland, et dont il aimait parler. Il disait qu'il ne l'avait jamais rencontrée, qu'il ne savait rien d'elle, que c'était un vieux monsieur qui lui apportait les textes, qu'elle vivait peut-être en Italie. Depuis, je n'ai jamais rien su ni trouvé sur elle, ou publié depuis. Je ne sais même pas si elle est toujours vivante ou non. Relire dans X poètes au féminin une quinzaine de ses textes m'a une fois de plus ébranlé.
Où je demeure en des lenteurs
inavouées, le plâtre tombe,
entre les mains de tempe en tempe
une tombe.
La lettre de Leonora Carrington à Henri Parisot, qui ouvre X poètes au féminin est époustouflante. Cette vieille dame (née en 1917), même si elle n'a plus une seule dent (il faut lire sa lettre, fautes de français reproduites, pour comprendre), n'y mâche pas ses mots. " Comme une vieille Taupe qui nages sous les cimitières je me rends compte que j'ai toujours étais aveugle - je cherche à connaître le Mort pour avoire moins peur, je cherche de vider les images qui m'ont rendus aveugle."
Indissociable du surréalisme, sa vie est bien connue (entre autre, sa fuite précipitée en Espagne, les allemands aux trousses, par les Pyrénées, abandonnant toutes les peintures et sculptures de la maison de Saint-Martin L'Ardèche où elle vivait avec Max Ernst), et je n'en parlerai pas plus. Le site qui lui est consacré est assez riche pour connaître son oeuvre et tout ce qui s'y rapporte.
Car il faut dire que même si elle a écrit plusieurs livres et pièces de théâtre,(la liste disponible en français dont En bas publié chez Losfeld en 1976, et La porte de pierre, (écrit suite à son séjour psychiatrique en Espagne, lors de sa fuite vers les Etats-Unis)) chez Flammarion en 1976, est disponible à la fin de X poètes au féminin) elle a surtout laissé pour sa notoriété une immense oeuvre de peinture et de sculpture, dispersée dans de nombreux musées et pays.
Leonora Carrington a 89 ans et vit au Mexique.
Portrait de
Max Ernst,1939.
Dimanche de
mars, 1990.
Crocodile,
Chapultepec Park,Mexique, 2000.
Il y a aussi dans X poètes au féminin, une dizaine de poèmes de Danielle Collobert, née le 23 juillet 1940 à Rostrenen, en Bretagne, et qui dans un hôtel de la rue Dauphine à Paris, s'est suicidée le jour de son anniversaire, le 23 juillet 1978.
" je partant voix sans réponse articuler parfois les mots
que silence réponse à autre oreille jamais
si à muet le monde pas de bruit
fonce dans le bleu cosmos
plus question que voyage vertical
je partant glissure à l'horizon
" ...
Comme le dit François Bon, dans une page émouvante de remue.net : " Qu'elle reprenne aujourd'hui sa juste place dans nos bibliothèques, parmi les rares, ceux qui comptent le plus. Les livres qui font vivre... "
Lisez sa terrible biographie et lisez ses poèmes.
Que dire de plus pour vous en donner envie ?
J'arrête là. Il y a dans ce livre aussi des poèmes de Friederike Mayröcker (ci-contre à gauche), Gilberte H.Dallas, emportée par un cancer à 42 ans, classée chez Seghers dans les grands poètes maudits , mais aussi Nelly Sachs (lire l' excellente fiche des éditions Verdier )(portrait ci-contre à droite).
Le livre se termine par un texte de Laure Bataille tiré des écrits, ces célèbres Ecrits de Laure, recueillis par J.Peignot grâce à Michel Leiris ( lire l'interview de J.Peignot dans remue.net ).
Si je n'ai pas donné envie de lire ce livre, ce n'est pas la peine que je continue.
Avant d'en finir j'ajouterai deux choses :
1- La préface, écrite par Muriel Richard-Dufourquet, dont j'ai déjà parlé il y a peu de temps pour sa peinture, est aussi remarquable que l'extrême rareté de ce qu'elle autorise à publier.
2- Les éditions L'arachnoïde font partie d'une association dirigée par Olivier Cabière de Montpellier, qui déjà publié Anthologie introductive à l'oeuvre de Claude Pélieu , et La nostalgie sexuelle. Stanislas Rodanski.
X poètes au féminin, pour un troisième essai est un coup de maître.
Il en a été tiré 500 exemplaires, dont les 50 premiers sont numérotés et signés par Muriel Richard-Dufourquet. On peut les commander en allant sur le site de l'arachnoïde ou (car il ne me semble pas actualisé) en envoyant un mail directement à contact@arachno.org.
D'habitude, l'ouvrage, toujours très soigné, coûte dans les environs de 15 euros.
Un dimanche enchanteur : de par la visite de Brigitte R., amie de longue date qui a fait l'aller et retour de Paris pour passer juste quelques heures ensemble, et ce petit livre noir, mais si lumineux...

je parole s'ouvrir bouche ouverte dire je vis à quoi

(oeuvres I, Danielle Collobert)