Journal de Nogent le Rotrou
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ma vie dans le Perche
Propos sur la littérature et la peinture.
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Antonin Artaud dans le rôle de " l'intellectuel ",
ou : je regarde tous les films sur la guerre de 14.

Verdun, visions d'histoire est un film tourné en 1927-28 tourné par Léon Poirier, et qui a été restauré grâce à la Cinémathèque de Toulouse. J'ai veillé pour voir à la télévision ce long film muet, (avec un piano épouvantable à mes oreilles pour fond sonore pendant 2h 30), dans la nuit de dimanche à lundi (entre 1 heure et quatre heure moins vingt du matin), pour voir des images d'archives (car ce film est un montage entre documents divers, cartes d'Etat-major, scènes réelles et scènes de fiction, ce qui était original pour l'époque) mais aussi parce qu'il y avait Antonin Artaud dedans dans la "figure symbolique " de l'intellectuel.
J'ai du faire 150 photos pendant les 155 minutes que dure ce film, espérant voir Artaud vivant en gros plan, mais espérant aussi vainement de reconnaître mon grand-père paternel, qui a fait Verdun, Douaumont et plus tard le Chemin des dames.
Le film est divisé en trois parties appelées visions (déjà soulignées dans le titre) :
Antonin Artaud apparaît vite dès la première partie, lorsqu'on fait la présentation (annoncée chacune par un panneau) de toutes les " figures symboliques " concernées par la guerre ( le fils, le père, le paysan, l'aumonier, le vieux maréchal d'empire, l'officier allemand, la jeune fille, la femme etc,) qui seront les personnages de fiction que l'on retrouvera tout au long du film.
Dans une belle famille française, un des fils est en permission, fait la fierté de tous, surtout de la mère, alors que l'autre (l'intellectuel, joué par Artaud,) écoute en ne disant pas grand chose, les mains dans les poches, un peu à l'écart. Le fils raconte le front, très calme alors en février 1916.
En 1927 Artaud a 31 ans et quand il tourne ces scènes, il a déjà interprêté la même année Marat dans le Napoléon d'Abel Gance, le moine dans la Passion de jeanne d'Arc de Dreyer, et s'est vu refuser le rôle d'Usher dans La Chute de la maison Usher que Jean Epstein préparait (et qu'il sortira en 1928).
Il s'était pourtant bien défendu (« Je n'ai pas beaucoup de prétentions au monde mais j'ai celle de comprendre Edgar Poe et d'être moi-même un type dans le genre de Maître Usher. Si je n'ai pas ce personnage dans la peau, personne ne l'a. Je le réalise physiquement et psychiquement. Ma vie est celle d'Usher et de sa sinistre masure. J'ai la pestilence dans l'âme de mes nerfs et j'en souffre. »).
Comme il devra s'expliquer et se justifier devant les surréalistes de tourner dans ce film de Poirier, au titre que ce « n'est pas un film patriotique, fait pour l'exaltation des plus ignobles vertus civiques, mais un film de gauche pour inspirer l'horreur de la guerre aux masses conscientes et organisées. Je ne compose plus avec l'existence. Je méprise plus encore le bien que le mal. L'héroïsme me fait chier, la moralité me fait chier. »
Lors de cette réunion de famille le fils à la guerre se veut rassurant. Artaud lit les nouvelles sur le journal. Il semble dubitatif devant une telle scène, en proie au(x) doute(s) de " l'intellectuel "...ou à ses intuitions du pire à venir.
le fils repart...mais la guerre se corse.
Les épisodes sont nombreux et compliqués.
On a des documents et des scènes vécues des deux côtés : français (front/arrière) et allemand (front, arrière dans les bureaux).
Les images sont belles, comme le sont toujours celles d'une copie remasterisée.
Plus les portraits sont beaux, plus la guerre est immonde.
On a cité dans le film une phrase de Nietsche.
Pendant ce temps-là...Le balancier d'une vieille horloge de campagne balaie les images : le temps passe, interminable. Ceux du front pensent à ceux qui sont restés en arrière et vice versa...
À la maison, l'intellectuel et sa mère sont tristes et discutent. Un intellectuel peut-il rester ainsi, livre à la main, alors que le fils (et frère) au front se bat en pensant à eux ?
Problème éternel de l'engagement.
Plus d'1h30 après le début du film, (on est dans la 2ème vision : l'enfer, depuis 30 minutes) la bataille fait rage.
Il est 2h46 du matin à Thiron-Gardais quand je prends la photo : on voit la lettre tant espérée, à sa mère. L'intellectuel s'est engagé.
Ma photo n'est pas très nette, je ne m'y attendais pas.
L'intellectuel, joué par Artaud s'est engagé.
Mais Artaud lui-même n'était-il pas d'accord pour jouer ce rôle-là puisqu'il l'avait défendu devant les surréalistes ?
" Ma chère Maman
Nous montons ce soir. Ce sera mon baptême du feu ![...]Je vais au combat pour soulager la souffrance et non la répandre autour de moi. Je me suis engagé pour défendre la patrie à qui je dois la fièvre de ma pensée. Mais je veux me battre sans haine
".
La lettre filmée est de la main propre d'Artaud : on reconnaît son écriture, (cf ma page sur le cahier de février 48) : rageuse, irrégulière...avec des mots détachés, soulignés ou écrits plus gros que les autres (Patrie).
Il écrit à sa mère terré dans un fortin mais il va sortir " ce soir " pour affronter la mort bientôt, la vraie, sans doute, peut-être, dans le champ qu'on appelle de bataille.
Artaud est assis dans le coin gauche de l'image, la mère apparaît plein écran, en surimpression, omniprésente.
... .....;
Quelques minutes plus tard dans le film, on le verra écrire d'une main aussi folle que rageuse, sur un cahier ou un carnet :
Suivent après, pour clore l'Enfer (la deuxième vision, appelée dans d'autres version l'Horreur), une suite d'images surréalistes, sorte de ballet assez délirant et hypnotique de mères fantômes qui viennent chercher leurs fils morts pour les ramener chez eux (ou au paradis ?)
On ne reverra plus Artaud dans ce film, comme d'ailleurs dans le cinema quelques années plus tard. En effet à part deux apparitions en 1935 dans Lucrèce Borgia d' Abel Gance et dans Koenigsmark de Maurice Tourneur, on peut considérer qu'Artaud a laissé tomber le cinéma en 1933, date à laquelle il déclara dans la vieillesse précoce du cinéma : " Le monde cinématographique est un monde mort, illusoire et tronçonné. Le monde du cinéma est un monde clos, sans relation avec l'existence."
Il est vrai que le cinéma en ne lui offrant jamais un vrai grand rôle ne fut pas à la hauteur des espérances d'Artaud.
Verdun, visions d'histoire en est un parfait exemple. Le rôle d'Artaud y est aussi court que sans intérêt et si peu crédible ! (Toutes les " figures symboliques " de ce film furent d'ailleurs très critiquées à sa sortie. Lire à ce sujet la seule critique sérieuse et conséquente du film, dont la version rénovée existe en DVD)
Pour les admirateurs d'Artaud, c'est juste une occasion de le revoir, quelques instants, comme moi cette nuit-là, avec plaisir, de le photographier en ayant l'impression qu'il est toujours là, bien vivant, confirmant sa célèbre déclaration :
Qui suis-je?
D'où je viens?
Je suis Antonin Artaud
Et que je le dise
Comme je sais le dire
Immédiatement
Vous verrez mon corps actuel
Voler en éclats
Et se ramasser
Sous dix mille aspects
Notoires
Un corps neuf
Où vous ne pourrez
Plus jamais
M'oublier.