Pour vous lecteurs, ils n'auront aucun point commun, à part d'être de bons livres dont j'aurais parlé pour vous dire combien je les aimés.
Mais pour moi ils ont d'autres points communs :
ce sont deux amies qui me les ont envoyés et que j'ai reçus comme un cadeau, deux femmes de qualité
que je connais depuis longtemps et que j'estime beaucoup, deux livres rouges aux pages d'un papier épais,
deux livres d'un "petit éditeur", et qui ne seront sans doute pas et malheureusement pas un "succès de librairie", ce qui heureusement n'est pas
le but de ces deux auteur(es).
Mais ce n'est pas une raison de ne pas en parler et surtout de ne pas les lire.
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Anne Guillou docteur et professeur de sociologie à l'Université de Bretagne occidentale, a toute sa vie travaillé
et écrit sur la condition des femmes, sur la Bretagne, sa vie profonde, et ce qu'on appelle communément "les pauvres gens", ce qui, dit comme cela,
est forcément réducteur. Elle a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages et celui-ci, Noce maudite est
son dernier. Mais ce livre n'est pas une étude sociologique habituelle car c'est un roman inspiré par un fait réel et tragique : la fin de Barbe R., infanticide et qui fut guillotinée le 23 mars 1844 à Morlaix.
La dernière phrase du livre est " -Vous ne souffrirez pas ma fille, juste un souffle froid sur votre nuque !".
Travail de littérature donc, sur un arrière-fond de terroir paysan verrouillé et oppressant où l'on apprécie et reconnaît dans un récit dramatique
une sobriété de style, un décryptage très sensible des non-dits, à petit coups de scalpel précis comme autants de fines observations.
La prose froide d'Anne Guillou fait mouche à chaque phrase et fait résonner en nous une vie jalonnée de malheur
et de
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tourments intérieurs. On imagine sans mal ce que pourrait en faire au cinéma un Polanski
dans sa période Tess.
Assez court (une centaine de page) on lit d'une seule traite ce récit, imaginé avec empathie et intelligence,
glacé par tout ce qu'a dû endurer silencieusement cette pauvre Barbe R., orpheline de naissance, haïssant son père, et qui souhaitait
dès l'enfance quitter ce monde.
"
Je n'ai jamais eu de rêves. Je n'ai jamais osé croire que les jours, un jour, seraient meilleurs. J'ai senti très tôt qu'une malédiction pesait sur moi.
Et cette malédiction s'est traduite dans mon corps. Elle m'a pétrifiée. C'est de là que vient mon corps froid, solide comme le marbre, mais aussi froid que lui.
Longtemps je me suis demandé ce qui me valait cette haine divine qui m'a affligée d'une telle infirmité. Je n'avais pas cinq ans et j'ai su." (p.7-8).
Dès le début on est donc prévenu, et on veut savoir aussi. Tout l'art et la puissance d'Anne Guillou est de nous donner cette envie, malgré tout, en ayant choisi d'utiliser
le je de Barbe. On en sort moralement meurtri et abattu, mais plein de respect pour cette femme, décidé aussi, à mieux écouter
tous les drames silencieux
qui se jouent chaque jour autour de nous, dans une société décadente où de plus en plus c'est chacun pour soi, où être pauvre et malheureux n'est plus recevable ni avouable.
Publié par
Skol Vreizh, maison d'édition bretonne, on peut le commander directement chez eux (41, quai de Léon, 29600 Morlaix) ou sur
sur leur site Internet. c'est
tout le bien que je vous souhaite.
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Dernier livre des éditions l'Arachnoïde, dont j'ai déjà parlé, il marque
l'ouverture de la collection Zakhor dirigée par Muriel Richard-Dufourquet. On imagine le travail et la ténacité qu'il lui a fallu
pour réunir les contributions
de Pierre Michon, Guy Petitdemange (traducteur de la correspondance de Walter Benjamin chez Aubier Montaigne) et Bruno Tackels
(auteur du gros livre Autour de la figure de Walter Benjamin, chez Actes Sud), trois fortes personnalités et de génération différente.
Il s'agit là de la ligne éditoriale de Zakhor
(qui veut dire en hébreu "souviens-toi") : faire découvrir ou redécouvrir des auteurs qui ne cessent de nous questionner, les visiter ou revisiter d'une autre manière,
et d'un point de vue différent par des gens différents (philosophes, poètes, romanciers, essayistes...)
Le titre du livre est aussi bien choisi : on sait en effet que pour marquer son passage (visite) sur une tombe juive, on ne laisse jamais des
fleurs, qui sont interdites, mais une pierre ou un caillou.
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Trois cailloux pour Walter Benjamin avec trois textes inédits (et à la fin trois lettres de Walter Benjamin) est donc dans son propos clair et
bienvenu et salué à juste mérite dans
la république des livres d'Assouline
(du 13 décembre 2010) dans
la Quinzaine littéraire dans l'article de
Jean Lacoste (no 1028) ou dans le
journal en public de
Maurice Nadeau (no 1027) :
Personnellement, j'ai préféré la contribution de
Bruno Tackhels qui est d'ailleurs la plus longue (pages 33 à 83) et qui s'intitule
Les pirateries de Walter Benjamin, Bréviaire pour les malhonnêtes et autres irrécupérables. Dans une forme fragmentaire extrêmement bien construite,
elle donne une image peu connue de
Walter Benjamin mais très humaine, (où on découvre qu'il peut prendre des cuites mémorables, claquer tout son fric, être un collectionneur invétéré, passer l'été à Ibiza, etc).
Ce qui a le mérite d'ajouter au livre une autre qualité : donner à des lecteurs qui ne le connaissent pas
ou peu, d'avoir envie d'aller vers l'oeuvre, découvrir et lire ce philosophe, critique et traducteur irremplaçable que fut
Walter Benjamin.
On attend maintenant
avec impatience le deuxième de cette collection qui commence par un coup d'éclat !