page précédente (Julie Petit...) Lundi 31 octobre 2011 page suivante (Charles-Louis Philippe...) retour au menu
Une journée minuscule dans la vie de Pierre Michon
ou : Hier, ce jour-là...

Les vignes étaient d'or en face de la station service désaffectée à quelques kilomètres de Chinon. Nous roulions vers Chambord. J'avais réservé depuis des semaines notre place. Depuis des années je voulais voir Pierre Michon, en vrai, qu'il soit ivre ou non, malade, fatigué ou non, en forme ou non, mais vivant, en chair et en os devant moi, entendre sa voix, croiser son regard, le toucher, sentir son corps. Et j'avais décidé que ce serait ce dimanche-là, celui de la Toussaint et à Chambord.
Nous avons pris notre temps, Muriel, Christian et moi et choisi une route buissonnière.
Il fallait arriver et se présenter à l'entrée 30 minutes avant l'heure, les portes seraient fermées quelques minutes après, et les retardataires en seraient pour leur chaise. Places limitées obligent. Ce que nous fîmes.
Chambord fut ce dimanche-là magique malgré les touristes et le Vouvray y fut servi frais à souhait.
Changeons de temps.
Nous entrons dans le salon situé au rez-de-chaussée à droite en entrant dans le donjon, un peu avant l'heure et un peu perdus, dans le décor d'un autre siècle. Nous le regardons se remplir peu à peu.
Muriel et Jean-Christophe C. s'assoient l'un à côté de l'autre au premier rang, connaissant bien Michon depuis des années, voulant voir la tête qu'il fera en les voyant , Christian et moi préférant nous asseoir près de la sortie.
Nous supposons qu'il entrera par la porte du fond. Peu importe, nous sourions qu'il doive faire sa lecture sous un tableau intitulé La Curée, tableau d'une série de quatre accrochés tous dans cette salle, peints à l'origine pour la salle à manger de Ferdinand d'Orléans aux Tuileries, par Louis-Godefroy Jadin (1805-1882), ami intime d'Alexandre Dumas.
Espérant que pour Michon cette lecture ne sera ni L'Ébat, La Curée, Le Relancé ou l'Hallali, nous sommes surtout impatients, Christian et moi, de savoir ce qu'il va lire, ce que nous ignorons totalement.
Il entre par la même porte que le public, salué par des applaudissements heureusement pas trop longs.
Il est 15h13. Il salue quelques amis qu'il reconnaît au passage et enlève sa veste face à La Curée.
. .
Après une présentation faite par "Le Monsieur qui l'a invité" et qui est sans doute Directeur de mission culturelle, vu la hauteur et la prétention discrètes du discours, et qui n'a pas daigné appeler un technicien pour résoudre un problème de micros et de son qui furent regrettables tout le temps de la lecture, Michon annonce qu'il va lire quelques extraits de son dernier livre, Les Onze, qu'il sort de sa poche.
....
Il est souriant, calme et vite, vu la salle surchauffée, tombe la veste.
Chaque extrait, avant d'être lu est clairement et calmement situé dans le projet et la composition du livre.
Sans lunettes, qu'il a d'abord gardées sur le front avant de les poser définitivement.
. .
Il lit bien, scande de sa main sa lecture, capable de hausser la voix, de faire sentir le rythme que contient son texte.
. .
A chaque pause, il se désaltère. L'auditoire est sage comme une image. J'ai l'impression vague qu'il manque quelque chose pour que cette lecture soit poignante.
J'en aurai (peut-être) une explication dans le jeu de questions/réponses qui suit la lecture. Il commence par s'excuser, dit qu'il a mal lu et que cela fait une soixantaine de fois qu'il lit ce texte et qu'il n'a plus le plaisir de le découvrir, de se dire tiens, c'est moi qui ai écrit cela.. . Ses réponses sont toutes très intéressantes pour plusieurs raisons et valent seules le déplacement. L'honnêteté et le ton pour répondre aux questions accrochent. Il s'y montre toujours surprenant, ne répondant pas ce qui est attendu ou espéré. Oui, il aimerait que quelqu'un peigne ce tableau qui n'existe pas, oui il a essayé de le dessiner, oui il aime l'Histoire depuis toujours, la peinture, Michelet... Il parle de Rubens, de Goya, de Rembrandt. Il plaisante, dit que dans tout le livre c'est le "Monsieur!" qui est le plus réussi... Tout ce qu'il a écrit n'a pas été publié, il y a des chutes (qu'il utilisera peut-être plus tard). Il parle des problèmes et des choix qu'il a du faire dans ce livre écrit en plusieurs étapes... Applaudissements mérités.
Tout le monde est invité à changer de salon, rouge celui-ci, où seront servis boissons et grignoteries, sous une toile gigantesque du néo-classique François Gérard, (La reconnaissance du duc d'Anjou comme roi d'Espagne, sous le nom de Philippe V) et où l'on pourra acheter et/ou se faire dédicacer des livres de Michon...
C'est l'heure de prendre l'air dans la cour du château, des rencontres et des discussions avec les amis présents. Pierre Michon semble très à l'aise, aimable, souriant et de bonne humeur, content d'être là avec tous ceux qui étaient venus pour l'écouter ou le rencontrer.
. . ..
Parmi les derniers à sortir de la cour du château, nous fûmes les derniers à quitter la terrasse de l'entrée, après avoir bu encore et encore du Vouvray.
Il ne fut pas difficile de retrouver malgré la nuit notre voiture sur l'immense parking déserté.
Plus tard, revenus à Chinon, nous aurons tout le temps de comparer les 365 cheminées et 440 pièces du château de Chambord avec les 953 fenêtres et balcons du Palais des Vents de Jaipur.