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samedi 17 novembre 2007 | jour précédent | jour suivant | retour au menu |
de L'empreinte de Pierre Bergounioux (Fata Morgana, nov.2007) ou Je ne sais pas bien, alors, ce qu'on devient.(Bergounienne no 15) 1- on y trouve trois dessins de Henri Cueco. Ce n'est pas étonnant. Ils se connaissent et se sont vus même récemment aux journées de Chaminadour et se retrouvent proches sur la photo souvenir. D'autre part, ce n'est pas la première fois qu'un livre de Bergounioux fait appel à un illustrateur ou un peintre. On se souvient par exemple : - des trois encres de chine de Pierre Alechinsky pour La Ligne (chez Verdier), - les formidables dessins à l'encre et à la mine de plomb de Philippe Ségéral dans Le porche de l'Erèbe (1997)(Galerie Jacob), Univers préférables, (éd. Fata Morgana, 2003), Le Fleuve des âges, (éd. Fata Morgana 2005) . J'ai bien aimé Cuéco, à une certaine époque (celle des Mallassis, dont faisait partie aussi Tisserand que j'ai bien connu ensuite...), et je suivais alors son travail, ses engagements, le bonhomme comme le personnage m'étaient sympathiques et j'aimais ses séries (pommes de terre...). Dans ce livre de Bergounioux, qui vient de sortir il y a quelques jours, en dehors du personnage sur la couverture, on trouve, les deux dernières pages du livre, deux dessins de Cueco, sans intérêt technique ou artistique, mais qui délivrent et illustrent un message ne manquant pas d'intérêt ni d'humour. (Quand Bergounioux regarde le monde (ou son village Brive) à travers un petit bout de lorgnette, voit-il un crayon ou un clocher ?)(pourquoi l'Est et l'Ouest sont-ils inversés ou : si ce sont bien l'Est et l'Ouest, le bonhomme a perdu le Nord, qui plus est, là joue le rôle du soleil, au vu de l'ombre projetée !) Quant au rocher qui plane et pèse au-dessus de l'homme qui marche tête baissée, c'est bien l'image pesante de notre condition vue par Bergounioux ! Dans ce texte ciselé comme à son habitude, le propos est clair, annoncé, précis. La démonstration est parfaite, rapide, efficace. Quelques souvenirs de Brive avec son père, descriptions du site et de son environnement, réflexions et constatations qui résonnent comme un coup de tonnerre dans un ciel aussi bas que gris. La leçon est facile à tirer, annoncée dans le rabat de couverture : l'empreinte de nos origines nous hante toute la vie. Il n'empêche qu'en 60 pages, Bergounioux donne le vertige de l'équilibriste sur le fil du souvenir, désireux pourtant de rejoindre la rive du présent, oh combien incertaine. 3- Comme souvent Bergounioux passe du détail à l'ensemble, de l'ensemble au détail, et dialogue au passage avec les quelques grands, écrivains la plupart, qui l'interpellent et habitent, grand lecteur devant l'éternel s'il en fut, sa pensée. Dans l'Empreinte sont appelés ainsi à la barre : - Descartes (p.9, p.57) - Hartung (p.14) - Soulages (p.13) - Guillaume Dubois (p.16) "enfant du cru, écclésiastique et ministre du Régent ". (Du cru oui, né à Brive la Gaillarde ! On sent, bien qu'il ne soit pas nommé, l'ombre de son ennemi, Saint-Simon, passer comme un ange...) - Stendhal (p.24) - Arthur Young (p.24) - Hegel (p.25) - Alain Fournier (p.27) - Le président Lebrun (p.34) - Maurice Chevalier (p.34) - Louis Figuier (p.42 : "Il ne me manquait que le mer. Elle est la première chose que j'ai dû tirer des livres, du volume que le polygraphe Louis Figuier a consacré aux poissons ") - Tolstoï (p.52) - Melville (p.52) - Caillié (p.52)(oui celui du voyage à Tombouctou ) - Saint-Exupéry (p.53, p.55) D'autres ne sont pas nommés, comme Stevenson mais leurs personnages sont là (Jim Hawkins, et John Siver de l'île au trésor p.54, ou les deux frères Durrisdeer du Maître de Ballantrae, p.52) 3- On est bien dans un livre de Bergounioux : - première phrase du livre (p.7): " Je suis de Brive. " - dernière phrase du livre (p.58): " Je suis de Brive. " Cela arrive souvent, nous l'avions déjà noté (Bergounienne no 1) chez cet auteur. Il part du local, du miniscule, fait le tour du monde et revient au local et au miniscule. Tout est à recommencer ! C'est ce que j'appelle le côté immobile et turbulent de Bergounioux. Il part dans sa tête et voyage avec ce que les morts ont écrit, et se retrouve assis immobile et béat, sur sa chaise, surpris de voir qu'il fait encore plus froid dans la pièce. Il n'est pas pour cela dupe. Il en fait l'expérience à chaque livre. - début du livre : " La réalité, quand on finit par l'envisager, afflige et désenchante." (L'empreinte p.9) - fin du livre : " J'ai cru que, par le truchement des livres entrouverts, on accède à ce qui est caché ou différent ou simplement distant.
J'ai croisé dans les mers chaudes, combattu à Smolensk. J'ai défendu le fortin, avec jim Hawkins, volé en direction d'Albert, à trente mille pieds,
au côté de Saint-Exupéry, qui avait des attaches en Limousin. Mais en fait je n'ai jamais quitté Brive. "
(L'empreinte p.53)4- Ce livre pose une question importante récurrente dans toute l'oeuvre de Bergounioux, celle de savoir la part (l'empreinte) du lieu d'origine, une fois quitté, dans ce que l'on deviendra après . Que serait devenu Bergounioux s'il était resté en Corrèze ? fallait-il en partir ? Était-ce le prix à payer pour survivre ? Quelle est la part de trois mille ans d'écriture et à quoi peut-elle lui servir pour être ou devenir lui-même ? Pourquoi tourne-t-il ainsi en rond depuis ses fameux 17 ans, date charnière dans sa vie, à ressasser les mêmes questions face à la feuille blanche ? L'écriture, si douloureuse d'après ce qu'il en (d)écrit, peut-elle servir d'exorcisme et apporter une éventuelle paix intérieure, éventuellement à savoir qui ou ce que l'on est ? L'écriture peut-elle servir de recul ou n'est-elle que ce miroir qu'on promène le long d'un chemin ? On en doute. Il en doute. À la fin du livre (p.57), en essayant pourtant de s'opposer à Descartes et affirmer ce qui ressemble à une pseudo-certitude, occasion de ces phrases qu'il sait écrire et que l'on aime souligner tant elles résonnent en nous, (" Il aurait dû ajouter qu'étant les choses auxquelles on naît, on ne les verra en tant que telles qu'autant qu'on s'en est éloigné. On ne se connaîtra pour ce qu'on est qu'après avoir cessé de l'être. L'exil est au principe de la connaissance et toute connaisance en exil.") Il finit aussitôt, comme d'habitude par douter, et revenir, au sens propre, au point de départ. Dernier paragraphe de L'empreinte, p. 58 : " Il est des lieux où la création tout entière semble s'être recueillie. J'en connais un, dans les collines. Il peut arriver qu'on le quitte et qu'on en soit changé. Je ne sais pas bien, alors, ce qu'on devient. On n'est qu'une fois. Je fus. Je suis de Brive." FIN DU LIVRE. Bergounioux affirme par son titre (et le rabat de la couverture) que l'empreinte de notre lieu d'origine est indélébile parce qu'elle porte le réceptacle de toutes nos expériences futures. Il va même jusqu'à affirmer (penser) que l'exil (quitter son lieu d'origine...) est nécessaire à la connaissance. La problèmatique n'est pas si nouvelle : Faut-il se perdre pour se retrouver, Faut-il descendre aux enfers pour pouvoir espérer le paradis , Faut-il reculer pour mieux avancer, plier pour ne pas rompre ?... Mais en même temps, quel aveu d'impuissance ! : Je ne sais pas bien, alors, ce qu'on devient. 5-Toute l'oeuvre de Bergounioux peut être vue d'ailleurs, ou envisagée, (c'est en tout cas mon avis) comme une tentative désespérée, par la littérature, de répondre à cette question des origines, écrite dans son cas, dans l'ombre et sous le poids de deux mille ans de littérature et autant de fantômes. Ce qui explique, à mon avis encore, le rejet de certains lecteurs, car bien sûr, comme l'illustre très bien, nous le comprenons maintenant, Cueco dans sa vignette de couverture, c'est lourd, intense et grave. On peut comprendre que pour se distraire, ils puissent préférer d'autres lectures. Quoique... ils apprécieraient sans doute la savoureuse rencontre du fermier d'Orconte avec Saint-Exupéry un soir qu'il est à manger du boudin et boire du vin blanc (p.56-57) Je les y encourage en tout cas, car ce livre m'a touché puisque concerné. Il m'a accompagné toute la journée, et ce soir résonne encore en moi. " J'ai pris le tout pour la partie et la partie pour le tout. J'ai connu la douceur de ne point connaître. J'ai été au monde purement et simplement." Comment ne pas se dire aussi pour soi : Je ne sais pas bien, alors ce qu'on devient. On est qu'une fois. Je fus. Je suis de... Il y a des livres comme ça, qui vous laissent aussi une empreinte. |