vendredi 16 novembre 2007 jour précédent jour suivant retour au menu
L'écriture d'un livre d'après Pierre Bergounioux (dans ses Carnets de notes.)
ou : histoire d'une " affaire ". (Bergounienne no 14),
Troisième épisode : Quand Bergounioux laisse " reposer " un texte, ça prend combien de temps ? (et que fait-il pendant ce temps-là ? )

Rappel :
- du 16 octobre 1990 au 9 novembre 1990, Pierre Bergounioux écoute, laisse venir " l'affaire où il prétend se lancer ". Il s'agit du livre suivant, du prochain livre...à écrire, qu'il va écrire, sans savoir grand chose encore. (détails dans tableau gris de la Bergounienne no 13)
- du 9 novembre 1990 au 12 mai 1991 : Bergounioux écrit les 12 chapitres. Il range les 270 demi-feuilles dans une chemise bleue, à deux heures de l'après-midi, ce dimanche-là. (Bergounienne no 12).
- du 15 mai 1991 au 21 juin 1991, il reprend tous les chapitres et corrige son manuscrit, qui apparaît donc maintenant comme un premier jet oh combien douloureux. Mais Chez Bergounioux, on sait que tout ce qui concerne l'écriture est douloureux. (bergounienne no 13, tableau II ).
Il déclare ce dernier jour (p.55 du 2ème tome des Carnets) : " Je vais laisser reposer, afin d'y voir plus clair."
Pour qui est habitué, le verbe reposer chez Bergounioux provoque un sourire. Se reposer n'est pas le genre de la maison. Mais sait-on jamais ?
Voilà où j'en étais.
Il va laisser reposer !
Il part en vacances et se lance éperdu dans la sculpture...
Il rentre le dimanche 4 août 1991 à Gif, à 11h du soir.
Là, je l'attends au tournant.
Il va être au rendez-vous.
III - Ce qui se passe quand Bergounioux laisse reposer un texte !
(En attente de la dactylographie du manuscrit).
Réception
épreuves
de La mue
(livre antérieur)
lundi 5 août 1991.
p. 79
" La poste, en mon absence, a retourné chez Gallimard les épreuves de La Mue "
On se dit bon, il va corriger ses épreuves. Cool...Non, on se trompe.
Bergounioux n'est jamais cool. Toujours tendu vers...
Ne pense qu'à se lancer dans un autre livre, le suivant. le même jour, à six heures du soir
(p.80)
" Comme je lui confiais que le temps est venu de reprendre la plume, elle me dit être persuadée - et cela, elle s'abuse - que je sais où je vais. Je ne parviens pas à l'en faire démordre." [...] Elle, c'est Cathy sa femme. Elle le connaît bien. On est complice avec elle et on l'admire avec lui, depuis le début des Carnets...
On se dit l'incorrigible ! Il a deux livres en chantier, et il veut repartir sur un troisième...On ne le changera pas...
"marinade "
sur le livre futur
Mardi 6 août 1991
(p.81)
" je passe la fin de la matinée et l'après-midi à " mariner ", comme disait Flaubert. Ne sais trop vers quelles ombres du grand passé me tourner pour les arracher à l'ombre où elles exerçaient leurs maléfices [...]" Écriture exorcisme...Il n'en est il est vrai, encore qu'au début de son oeuvre publiée. Il n'a à cette date publié chez Gallimard que 6 livres.
Pas encore exploré tous les recoins de son passé ni liquidé son drame des origines.
Au bord du gouffre
du livre suivant...
mercredi 7 août 1991
(p.81)
[...]"J'appréhende l'instant de la décision, qui m'engagera corps et âme, pour des mois [...] Je jette quelques notes sur une feuille, avec de longs intervalles de stupeur, d'effarement." Pas commode pour moi, Il s'agit là du livre suivant, pas celui dont j'analyse l'histoire...mais on comprend que chez Bergounioux, et c'est ce que je veux prouver, chaque livre est l'histoire du même cycle qui recommence sans cesse , qui ne sera interrompu que par sa mort, et qu'il n'en dérogera jamais.
Part
sur un autre texte
encore
Vendredi 9 août 1991
(p.82)
" Je continue à jeter sur le papiers divers faits, pensées, inconguités relatifs à ma passion métallique."[...] Ce texte (La Casse, sera publié en 1994 (3 ans plus tard) chez Fata Morgana.
La première phrase est : " Je ne sache pas qu'il y ait un sens à la vie. "
Décide
de ne pas dactylographier
tout de suite le livre
qui nous occupe
et de commencer le suivant
Vendredi 9 août 1991
(p.82)
" Lever à six heures, avec la résolution de rompre le sceau effrayant du livre prochain - je dactylophierai plus tard le récit terminé en juin." Il s'agit bien de " notre livre ". Il ne l'oublie pas mais c'est irrésistible : le suivant...
À midi il l'a commencé " Je n'aurai rempli qu'une page et demie, flottante, faible, à midi, et elle me laissera une fatigue brutale, anormale, qui m'empêchera de reprendre, ensuite." (p.83)
Il éxagère : ce n'est pas anormal.
C'est toujours comme ça ! C'est le contraire qui eut été anormal !
Où on a la confimation qu'il écrit ses livres à la main (sur une planche, on le sait), et qu'après il les tape à la machine.
Travaille
La Casse
dimanche 18 août 1991
(p.85)
" Toute la matinée à ordonner les chapitres - six - de mon petit traité de la passion métallique. " Chez Fata Morgana, il n'y a plus de chapitres.
Mais, pour être précis, ce texte a été publié auparavant dans la NRF (no 474-475) en juillet août 1992. Je ne sais pas si là, il y avait les 6 chapitres.
Et puis on le connaît : il va peut-être en rajouter un septième !
Là, j'abrège et je résume, parce que...j'attends qu'il revienne au texte qui nous intéresse, qui est en train de " reposer "
(du 21 juin 1991 certes, mais jusqu'à quand ?)
- Travaille, écrit mot pas mot, page par page (en général deux),ce que j'ai appelé la phase I,
- Le 13 septembre (p.92) il reçoit la traduction allemande de la Maison rose publié en France en 1987 chez Gallimard,
- Le 23 septembre il en est à 60 pages (p.96). Cela fait 6 semaines qu'il s'est lancé dans cette " affaire ", mot habituel pour désigner le texte en train de s'écrire,
- Le 25 septembre (p.96) il entame le 7ème chapitre qui sera consacré aux " satisfactions obscures que je tire des casses..." ,
- le 26 septembre (p.97) va signer le service de presse de La Mue,
- le 22 octobre (p.101) il fait une interview radio par téléphone et écrit 2 pages pour un article qu'on lui a demandé,
- le 31 octobre (p.104) " commence un papier qui me ramène à mes plus anciens souvenirs, à ceux, précisément, qui se rattachent au Quercy, à la maison rose,"
- le 7 novembre, émission de radio (p.105-106) avec Nicole Vasseur en poseuse de questions,
- le 10 novembre (p.106) finit ce papier et prend des notes sur des souvenirs de La Roque. Finit ce " petit travail " sur le pays lotois le 12 novembre (p.107),
- le 13 novembre commence un papier sur Eidrigevicius qu'il doit envoyer à Montreuil (suite à la visite d'une exposition le 12, la veille (p.107),
- le 14 novembre lit Rimbaud le fils et pense (décide) un article sur Michon pour la célèbre revue d'Orléans Théodore Balmoral (p.109),
- Le 15 novembre 1991, Cathy lui apprend à se servir de l'ordinateur.
Il va dactylographier son texte sur Eidrigevicius. C'est une date importante.

Il note (p.110) : " À midi, l'imprimante crache les feuillets imprimés que je descends jeter à la boîte."
C'est le premier texte tapé par Bergounioux sur un ordinateur.
Il est parti dans le livre suivant, et si je le suis, il va me "casser " et m'entraîner dans le hors sujet, puisqu'au départ, je n'analysais que l'écriture de ce qui sera L'Orphelin.
À noter quelque chose d'important : cette année-là, Bergounioux ne retourne pas au collège, il a obtenu une année disons sabbatique...(ce sera l'objet d'une autre Bergounienne) : Le Mardi 10 septembre 1991 en fin de note, on lit " L'année scolaire a commencé sans moi." (p.91)
- L'article sur le peintre Stasys Eidrigevicius sera publié aussitôt envoyé sous le titre " L'ombre de l'abîme ou le visage de l'homme " par le Conseil Général de la Seine saint-Denis.(automne 1991)
- Le texte de Bergounioux sur Michon, qui ouvre " Compagnies de Pierre Michon " sorti en 1993, avec des textes de Bobin, Deguy, Maulpoix, Réda, Titus-Carmel et j'en passe, est célèbre.
- Il va d'abord écrire en fait le texte " Le Méchant" publié pour le Ministère de la Culture en 1992 (Regards d'école et nouveaux créateurs)
Choc ou pas, dès le lendemain, il pense à son texte en " repos" .
le samedi 16 novembre 1991 il note (p.110) :
"Ensuite, j'aurai à dactylographier l'histoire qui m'a occupé de novembre 1990 au mois de juin dernier, la lutte à mort où je me suis trouvé impliqué, bien malgré moi, par mon père qui avait grandi sans père et n'a pu apparemmemnt souffrir ma présence après lui ".
C'est mal connaître Bergounioux que de croire qu'il va " s'y mettre " tout de suite. - Il va d'abord :
- " recaler et raboter " son texte sur le Lot (le 16 novembre,(p.110),
- reprendre les pages sur le Quercy qui sont " à refaire en totalité " (19 novembre, (p.111),
- terminer le papier sur le Lot (samedi 23 novembre (p.112),
- travailler sur l'article sur Pierre Michon (celui pour le Ministère de la Culture)(mardi 3 décembre (p.116),
- reprendre ce même article (mercredi 4 décembre(p.117),
- le raboter encore et encore (jeudi 6 décembre (p.117),
- dactylographier,s'il vous plaît, " sur l'ordinateur les réponses au questionnaire de Tristan Hordé "(mercredi 11 décembre (p.118),
- Enfin le jeudi 12 décembre 1991 (p.118), il se lève à quatre heures du matin et a envie de revenir à " l'épais travail qui m'a occupé l'an passé ". Ouf, il va enfin le taper !
Mais il ajoute (toujours le jeudi 12 décembre 1991) :
" Il m'a suffi de lire de lire les deux ou trois premiers chapitres pour me rendre à l'évidence. Tout est à refaire. C'est extravagant, imprécis, abstrait, plein de redites, qui tiennent - je le comprends maintenant - au fait que j'étais si peu certain de ce que j'avançais qu'il fallait que je me répète à moi-même. " (p. 119)
Le vendredi 13 décembre 1991 (p.119) il ajoute :
" Toute la matinée à tailler dans le manuscrit comme dans quelque épais massif de plantes ligneuses et vénéneuses. [...] À midi, j'aurai remanié huit pages mais je sens bien qu'une nouvelle passe, que plusieurs seront nécessaires encore."

Le samedi 14 décembre 1991 (p. 119), il enfonce le clou :
" La nécessité de reprendre le grand travail que j'avais cru à peu près achevé, la crainte que le principe n'en soit faus me tourmentent profondément. Je n'aurai plus de paix que je n'aie réduit la chose ennemie[...] Je taille dans le vif, retranche froidement des développements [...]
Si on résume la période repos du texte, dans sa chemise bleue, ça a duré du 21 juin 1991 au 12 décembre 1991, date à laquelle il décide de le retravailler.
174 jours, soit 5 mois et 21 jours.
Où Bergounioux en est-il ?
À retravailler le texte.
À la case départ d'un vaste Monopoly ?
Mais non, à la case prison bien sûr.
" L'affaire ", la sienne et la mienne, ne sont donc pas terminées.