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ma vie dans le Perche
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Propos sur la
littérature et la peinture. |
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Qu'est-ce qui s'est passé définitivement ? ou : la difficulté d'être au présent. (bergounienne no 23) Un homme, appelons-le Gabriel, pose des questions à son frère,
appelons-le Pierre. L'un est prof de linguistique à l'Université d'Orléans et a écrit une dizaine de livres,
l'autre est professeur agrégé de lettres et a écrit une quarantaine de livres. L'autre, l'aîné, 59 ans, est plus connu en littérature que son cadet (55 ans). Il répond à ses questions simples mais importantes. Il faut dire que ces deux-là se parlent depuis leur enfance, se sont regardés vivre et construire leur vie en parallèle, ont partagé réveillons et livres, mariages, naissances et enterrements. Tous deux ont du quitter la Corrèze pour vivre leur vie. C'est l'histoire d'un frère qui rencontre l'autre.... Ça donne un livre formidable qui vient d'être republié chez Argol (octobre 2008) dans la collection bien nommée Les Singuliers, dont le dernier volume paru était Federman hors limites (rencontre avec Marie Delvigne). La succession était difficile à assurer, elle l'est parfaitement avec ce livre. Cela s'appelle Pierre Bergounioux, l'héritage, et c'est sous-titré Pierre Bergounioux / rencontre avec Gabriel Bergounioux. Les éditions Flohic l'avaient publié en 2002, et il était épuisé depuis longtemps. |
Ce
livre est lisible de différentes manières car à plusieurs niveaux.
On peut y trouver les questions de Gabriel et les réponses de Pierre, mais aussi grâce à une mise en page appropriée des citations (Dans la langue de Bergounioux, ses lecteurs savent que ce sont ses extraits) d'oeuvres lues et qui l'ont marqué (et lui sont pour lui autant de jalons formateurs et points d'appui que bijoux de famille ou trésors de guerre) et un ensemble de photographies et reproductions tout à fait bergouniesques : cartes postales d'époque, géographiques, géologiques, historiques, objets variés (voitures, partition de Roll over Beethoven de Chuck Berry, crâne de La Chapelle-aux-Saints, enveloppe de correspondance... ) portraits (de Dubois à Bourdieu, de Flaubert à Karl Marx avec ses enfants et Engels...), paysages, collections d'insectes, "ferrailles" (on sait que c'est ainsi que Bergounioux nomme ce que nous appelons, nous, sculptures), couvertures de livres, fleuves, sérigraphies de mai 68, tableaux et gravures (d'Alechinsky à Dubuffet en passant par Cueco), de plaques funéraires (Freud, Eluard), aux photos de famille et que sais-je encore ... |
Archives et bric-à-brac qui accompagnent et tracent la vie comme chacun de nous a les siens
et qui feraient pâlir plus d'un bloggeur émérite espérant saisir le monde dans chacune de ses journées ou tout simplement les traces (preuves?) de son existence.
Ce qui reste quand on a tout oublié, un pélerinage d'icones personnelles (mais aussi historiques, universelles car datées et très parlantes pour tous les gens de la même génération, dont je fais partie). Ce livre peut donc se feuilleter : on s'y fait arrêter par un choc, un flash de mémoire, une question, un souvenir à la Pérec, je me souviens... ah c'est vrai, j'avais oublié, ou : j'ai la même... Les photos sont petites : elles ne sont là que comme vignettes, ou " post-it" dans la marge d'un grand fleuve héraclitien. |
Il n'est pas nostalgique pour un sou .
Il s'agit d'une recherche, d'un pélerinage aux sources (du même fleuve) (le même recommencé x fois chez Bergounioux au fil de ses livres ),
il s'agit de reposer encore et encore les mêmes questions fondamentales
(qui je suis, d'où je viens, que faire...), les questions sur l'origine, sur l'espèce humaine, ses fondements, son drame
d'exister, sa difficulté de vivre, le rôle joué par l'écriture...
Il n'est pas narcissique ni prétentieux. Au contraire. Simple, humble, voire même austère (mais Bergounioux peut-il être, en littérature, autrement qu'austère ?) avec sa lenteur habituelle. Les illustrations sont dans un désordre apparent (mais peut-être un ordre secret ), parfois dérisoires (une forêt, un chemin, un pont, une façade de cinéma...). N'est-ce pas un peu notre bazar à tous ? Mais quel plaisir, pour les lecteurs de l'oeuvre de voir des photos qui nous causent et nous touchent car imaginées (et à l'absence parfois regrettée ou souhaitées lors de la lecture des livres ...Miette sans la photo, cela aurait été dommage quand même non ?, enfin...un peu... Ce livre me touche, car j'aurais pu faire le même : le mien. Mais je ne l'ai pas fait (encore, mais j'ai commencé) : alors il est mien. Pour les lecteurs de Bergounioux, ce livre est aussi un cadeau, de par les photos familiales ou prises dans l'intimité qui sont données à voir pour la première fois (comme quand à des amis on ouvre des vieilles boites à chaussures pour regarder les trésors entassés...), la synthèse d'un travail fait (et vérifié donc par le lecteur assidu), avec un plaisir particulier bien sûr pour des photos au départ insignifiantes et qui deviennent typiques de l'oeuvre appréciée...( comme les fans aiment les photos de leurs idoles, même prises dans des actes insignifiants comme lacer leurs chaussures ou mettre de l'essence dans leur voiture. j'ai déjà dit dans une autre bergounienne mon fantasme de faire ou d'avoir une photo de Pierre Bergounioux en train de faire des courses dans un supermarché, poussant un caddie (en dehors de la métaphore du faire son marché)...). Pour ceux qui ne connaissent pas l'oeuvre de Bergounioux ce livre peut être une mine. Une mine de citations de livres d'auteurs repères, mais aussi des textes de Bergounioux lui-même. Une sorte de parcours accéléré. Amateurs de fiches, sortez vos carnets et vos crayons et "extrayez !". Rendement assuré : vous aurez vite envie de lire Saint-Simon (p.31), Proust (p.17, 121...), Beckett (p.129), Thomas Bernhard (p.125), et pourquoi pas Montaigne (p.82), Michon (p.189), Bon (p.157) ou Shakespeare (p;104) ? sans parler bien sûr des extraits et citations des propres livres de Bergounioux ! (certains permettant de prendre contact avec des livres peu connus et qui méritent pourtant le détour, courts mais efficaces comme des virages.) Le principal restant le corps du livre : ce que disent les deux frères, depuis 50 ans, l'un avec l'autre, l'un sans l'autre, toujours proches, témoins et éveilleurs, toujours prêts à faire un book day ensemble. Ce livre aussi doit se lire. Bien sûr et surtout. Ça commence fort dès la première page (P.7) avec la première question : " Qu'est-ce qui s'est passé, finalement ? " Ma réponse aurait commencé comme la sienne : Il s'est passé que... Si vous voulez connaître la réponse de Pierre Bergounioux... vous savez ce qu'il vous reste à faire. Le livre est et reste ouvert. Bergounioux continue d'écrire, emporté par son propre fleuve, celui de l'Histoire, celui de son origine, à la fois plongeur, nageur et pêcheur. Il a raconté ailleurs comment, très jeune il a failli y être emporté, comment le héros de Catherine (dès son premier livre donc) avait imaginé y finir ses jours. Mais il est aussi en même temps l'insecte sur la rive qui se débat dans son écume et celui qui regarde le fleuve couler. Ne répond-il pas à son frère (page 111): " J'ai compris à dix sept ans, que j'étais vieux de cent, de mille, que je vivais au Moyen Àge, dans la Gaule romaine. Mais je douterai jusqu'au bout d'être de mon temps, de penser au présent." Le titre de ce livre n'est pas anodin : pour Pierre Bergounioux il n'y a pas de présent possible sans héritage. Comment ne pas être d'accord avec lui quand d'origine paysanne, le pire et l'ineffable voire tabou était de " bouffer l'héritage ", cela me rappelle aussi des discutions avec mon ami Christian D. où, jeunes encore, nous entrevoyions que nous n'étions peut-être que ce qu'on nous avait légué, que ce que nous avions hérité, nous disions à l'époque pudiquement " transmis ". Question essentielle à laquelle chacun devrait, peut-être, essayer de répondre un jour. Le désespoir, l'inquiétude, la douleur, l'horreur sont inutiles même s'ils rendent insupportables la vie. Nos dieux, qui sont de petits salauds, s'en amusent d'ailleurs bien. Écrire (et lire) nous permettent d'atteindre le dernier mot (du livre) qui est : délivrer. La mort s'en chargera bien un jour. À nos enfants d'en supporter le lourd héritage, si l'on eut l'heureux malheur d'en faire. |