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Mercredi 31 octobre 2007 | jour précédent | jour suivant | retour au menu |
Triste en corps bière Corbière le crevant, d'Emmanuel Tugny. (Collection Laureli, Éditions Léo Scheer) On a salué un (petit) peu partout ce petit livre, juste cent pages, juste cent pages justes, à la couverture un peu bizarre sur fond blanc, qui n'est pas d'ailleurs un vrai blanc puisqu'il y a dedans un peu de jaune qui passe inaperçu, tiens, jaune, comme dans Amours jaunes qui tiens, lui aussi est passé inaperçu en 1873. Mais cela suffit-il pour que ce petit livre vive juste un peu et ne crève pas à son tour, noyé dans la marée des crevures qui submergent nos têtes de gondoles comme autant (de têtes) d'affiches choisies par de vulgaires marchands de soupe ? On a pourtant écrit et dit plein de mots à faire rougir, je devrais dire pâlir, tout jeune auteur qui publie un livre chez un éditeur prestigieux tel que Léo Scheer : " enquête passionnante, dérive vers une amplification romanesque, réinvention, émotion, nouvelle forme littéraire, fable, comédie du monde, langue jubilatoire, invention verbale vertigineuse, varappe savante et gouailleuse, force de ton phénoménale, laisse parfois le lecteur sans souffle, une scansion magistrale, roman incandescent, une musique plus qu'une monographie, des braises ajoutées aux braises, style remarquable, écriture âpre, cinglante et tendue ..." Que faut-il dire de plus et de quoi parler pour faire part et donner envie de lire un livre ? - de Tristan Corbière ? Que n'a-t-on déjà dit de ce météore, mort avant 30 ans, du fils de son père, du rhumatisé de naissance, de l'excentrique qui se déguise en femme, en évêque ou en mendiant et qui marche dans la rue un porc en laisse ? Du seul livre publié de son vivant, Amours jaunes, révélé plus tard par Huysmans et Verlaine, de celui que les villageois appelaient l'Ankou , le spectre de la mort ? Du poète qui écrit : Que je sois seul! – oiseau d'épave Sur les brisans que la mer lave… ? |
- de son père Édouard ? Édouard Corbière, bourgeois influent respecté à qui tout réussit et qui réussit tout, que l'enfant ne peut qu'admirer en offrant son livre (Le négrier) à tous ses professeurs, et qui adulte, laid et malade, ne pourra que repousser, lui dédicaçant quand même son unique livre ? Comment être le fils d'un père tour à tour marin, capitaine au long cours, écrivain, journaliste, armateur, orphelin de père lui-même à 9 ans, et qui finira même sans le savoir père d'un poète maudit ? Comment écrire à la suite d'un tel père ? Y-a-t-il infortune de naître dans la fortune ? Ou finalement : comment écrire avec son père ? |
- d'Emmanuel Tugny ? Né le, né en, études de, diplômes de, boulots de...Bla bla bla... Il est sur Wikipedia, il a son MySpace.com et j'en passe. Que veut-on savoir ? S'il écrit avec un Mont Blanc ou s'il tape la machine ? Quelle tête il a ? Une tête à la mode, une tête de cochon, une tête d'abruti, une tête d'intello ? De quel instrument joue-t-il ? De tous. Oui, il est doué, oui il est brillant...et alors ? Peut-être trop ? oui peut-être. On s'en fout. Anecdote personnelle : un soir, il y a plus d'une dizaine d'années, à la maison, il m'a regardé peindre. Sans rien dire. En partant il a dit : ça va, ça je peux le faire. Le lendemain il peignait du soir au matin de grandes tartines de 2 mètres de large. Six mois plus tard il exposait avec catalogue et tout et tout... Il écrivait sur la peinture de Mathias Pérez en compagnie de Marcelin Pleynet, Éric Clémens, Jean-Pierre Verheggen, Hubert Lucot... Pour des raisons de déménagements et de voyage, j'ai ses toiles dans ma grange à Thiron-Gardais. Quand je lui demande qu'est-ce que j'en fais, il me dit : ce que tu veux. Il s'en fout. Quand je lui parle de ses livres, il me dit : tu as lu mes articles sur le foot ? Quand je lui dis que je n'y connais rien en foot, il me dit : tu veux écouter ma dernière chanson ? Tugny est toujours déjà ailleurs quand on l'attend quelque part ! Je l'ai scotché plusieurs fois quand même : par exemple, il ne connaissait pas grand chose du silure ! réponses : Non, Corbière le crevant n'est pas un livre sur Tristan Corbière, ni sur son père. Ils ne servent à la rigueur que de prétexte, ou mieux d'alibi, de relance et de support au projet littéraire. C'est marqué dessus roman, mais ce n'est pas plus un roman qu'une biographie. Tant la distance est grande entre le récit et le poète que c'en est plutôt une fiction, un prétexte, pour nous envoyer, comme on le ferait d'une bouteille à la mer, un texte qui n'est que la partition musicale d'une voix qui balance...qui balance sur tout ce qui " dégoutte de miroitement dans tout ", sur " le corps-sandwich du vivant ", la " fantaisie navrante d'une vie ", sur " l'oeil pas mort " qui " tourne encore mais dévoré de nuit ". Un livre à ne pas chercher à comprendre, mais à recevoir, pour qu'il se coule en vous, et vous donne à " goûter le lent démembrement de la machine foutue d'avance ". Livre étonnant oui ! On peut même se demander au début si c'est du lard ou du cochon, ce qu'est ce météorite, un peu chaotique et fou, ludique et débordant, à la langue un peu déglinguée comme je l'ai entendu sur France culture. Mais il faut continuer pour savourer la récompense finale et atteindre la paix à l'hôpital Dubois " dont on fait les cercueils ". C'est bien là Corbière le crevant, celui qui nous fait mourir de rire et qui meurt en même temps, celui qui, dans un corps mal fichu et mal cousu, a pu vivre toute sa vie presque mort, et ce grâce au ricanement, pas si tragique que cela quand on y pense, héroïque avant tout, et que ce livre, grâce à des citations qui sont à chaque fois autant de relances et invitations à poursuivre, nous donne une furieuse envie de lire ou relire. Mais ce n'est là, dirait Tugny, qu'un dommage collatéral au livre. Ce n'en est pas le but, ni l'intention ou le projet. Mais tant mieux quand même. Quant à l'écriture d'Emmanuel Tugny, que ce livre permettra à beaucoup j'espère de découvrir, je ne ferai remarquer seulement qu' elle existe et se dévoile déjà dans une dizaine de livres antérieurs, tous plus originaux les-uns que les autres, et que celle de Corbière le crevant ne fait qu'éclairer un projet littéraire qui n'a pas dit son dernier mot.
Corbière le crevant ? un livre qui " déchire grave " diraient sans doute mes élèves qui ne lisent pas. Et puis subitement je me demande à qui je parle sinon qu'à moi-même. N'empêche que ceux qui voudraient offrir à leur chérie pour Noël, un livre rare puisque je ne l'ai que très peu diffusé, il me reste des exemplaires de Byzance, avec même une édition hors commerce (avec Cd de la lecture du livre par Emmanuel Tugny, accompagné à la guitare par Olivier Mellano). Couverture de LLde Mars et préface d'Alain Viala. Ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval ! |