jour précédent vendredi 19 février 2010 jour suivant retour au menu
Aux cœurs de Personnes (Boltanski 4)
ou : hanté par la mort, on peut dire tout ce qu'on veut.

Dans une petite salle blanche qui ouvre sur un couloir blanc qui débouche sur la galerie située juste au-dessus de la grande salle on peut découvrir Les archives du cœur, un projet de Boltanski en cours auquel on peut participer.

Les bruits des cœurs que l'on entend dans tout le Palais, proviennent de ce projet commencé il y a cinq ans.
Ce projet vise à collecter et constituer une bibliothèque de cœurs. Ces bruits seront rassemblés sur l'île de Teshima comme Boltanski nous l'explique : "La distance m'a semblé importante. Sur cette île, dont l'accès est compliqué, on construit un bâtiment, où il y aura des techniciens.[...] On pourra donc se rendre dans cette île afin d'écouter, par exemple, le cœur de Mme Dupont. Il suffira d'attendre quelques années pour que ces cœurs deviennent des cœurs de morts. Il y a quelque chose de très étrange dans cette idée que le cœur continuera à battre alors que la personne aura disparu. J'aurais pu mettre tout cela sur Internet mais cela m'a semblé horrible. Ce qui m'intéresse dans ce projet, c'est le voyage, qui est long, difficile, et durant lequel on songe à ce cœur qu'on va écouter."
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Recherche faite, ce n'est pas simple en effet comme insiste Boltanski :
"Le fait que ce soit loin, difficile à trouver (il faut prendre deux avions, une voiture, deux bateaux) m'intéresse parce qu'il y a une notion de pèlerinage. Au bout de quelques années, forcément, tous ces cœurs emmagasinés seront des cœurs de morts, et donc cette île deviendra un peu "l'île des morts"."
Difficile de ne pas penser à Arnold Böcklin et son île des morts, exposée exceptionnellement ici-même d'octobre 2005 à janvier 2006, lors de l'exposition Mélancolie.
Avant Personnes, Boltanski avait déjà enregistré environ 30.000 pulsations cardiaques. Après, il atteindra sans doute les 100.000. Car en effet, l'atelier d'enregistrement est ici (deux salles). Chacun peut bénévolement participer. On prend un numéro d'attente, et il suffit... d'attendre.
L'enregistrement lui-même dure 20 secondes. On peut, moyennant le prix de cinq euros,, en garder une copie sur CD. On vous attribue un numéro de cœur et vous émargez sur un cahier en indiquant votre nom en face . Sandrine et moi avons bien sûr voulu garder le bruit de nos cœurs ce jour-là.
J'ai pensé à mes filles. Qui sait si un jour en voyage au Japon, elles n'auront pas envie d'aller visiter cette île... et d'entendre le cœur de leur père... Un prétexte comme un autre !
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Certes, quand on a déjà fait un infarctus comme moi, et que l'on sent la "main de Dieu" au-dessus de sa tête, d'autres parleraient d'une épée de Damoclès, le bruit de son cœur est peut-être plus important que celui de sa voiture, et ce genre de travail parle et touche et il est difficile d'y rester insensible.
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Mais j'ai souri aussi à l'idée d'aller voir un ami au Japon, Berlol par exemple, et de lui dire que je suis venu entendre mon cœur (ce lieu spécial dans l'île de Teshima devant ouvrir en juin 2010 !)
"Je suis un peu comme Woody Allen. Je suis allé voir un cardiologue récemment, parce qu'on m'avait signalé que le battement de mon cœur, que j'avais utilisé dans l'exposition chez Marian Goodman, était irrégulier. Il m'a dit que je n'avais pas d'infarctus, j'étais content, mais je me suis dit que la prochaine fois j'en aurais un... Et effectivement, à un certain moment, les ennuis sont forcés d'arriver, d'une manière ou d'une autre. Donc, c'est triste. Mais j'ai la chance de savoir, ou de pouvoir, oublier." (La vie possible de Christian Boltanski, p.279, livre déjà cité)
" - Catherine Grenier : Est-ce que c'est pour ça aussi que pour l'exposition du Grand Palais, alors que tu penses : "on va me critiquer, c'est beaucoup trop bavard, trop émotionnel", tu te dis aussi : "tout ça n'a pas d'importance parce que je suis tellement hanté par la mort que je peux dire tout ce que je veux" ?

- Christian Boltanski : Absolument. Je sais tous les clichés qu'en France on peut avoir contre moi. Mais je pense que c'est ce que je dois faire, et c'est ce qui m'amuse de faire.[...] Et finalement, l'avis des autres, je sais très bien que c'est relatif. Il y a toujours quelqu'un qui te crache dessus et quelqu'un qui t'embrasse. Et celui qui te crache dessus peut t'embrasser le lendemain, tout ça n'a pas beaucoup d'importance."

(à suivre...)