page précédente (rappel) Mardi 7 février 2012 page suivante (vingt jours) retour au menu
Allez vous faire tirer le portrait...
Par Laurent Bahanag.

C'est à la galerie In Situ de Nogent-Le-Rotrou.
Vous vous asseyez sur une chaise (rouge) et vous écrivez à la craie votre nom sur une ardoise que vous mettez autour du cou. Là vous ressemblez à un prévenu avant qu'il entre dans sa cellule. C'est l'identification. Vous inscrivez aussi votre mail sur un carnet.
Vous recevrez la photo de l'artiste directement chez soi.
On peut se poser des questions puisqu'il en prend plusieurs de vous. Une ou deux les yeux fermés (il vous a demandé de vous relaxer et d'oublier l'environnement), puis 30 secondes ou une minute après, "quelqu'un" vous touche l'épaule. Il en reprend une ou deux à ce moment-là, quand vous rouvrez les yeux.
Pas assez long en tout cas pour moi pour avoir oublié où j'étais ni ne pas attendre, un peu stressé, qu'on me touche l'épaule ! Bien que plus long, peut-être me serais-je endormi, moi qui m'endors sur le siège du dentiste, dans l'appareil qui fait les IRM ou je ne sais où et dans n'importe quelle position ! Il faut dire que comme tous les gens qui souffrent d'un SAS, Syndrome d'Apnée du Sommeil, je suis spécialiste de l'endormissement instantané, ce qui m'a valu, avant que je me soigne, deux accidents de voiture.

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Premier candidat (j'adore essuyer les plâtres) je suis impatient du résultat. Je me demande s'il va faire des superpositions (faciles à faire puisqu'il prenait des photos avec un petit appareil numérique) ou je ne sais quel autre travail/interprétation.
Ça, c'est le côté "participation".
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Je précise : ce n'est pas obligatoire. Ce n'est qu'une proposition de l'artiste.
Dans les faits, un petit succès, au moins une quinzaine de personnes se sont assises sur la chaise rouge.
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Il y a bien sûr dans les deux pièces de la galerie une exposition, sous-titrée De la pénombre à la lumière, constituée par un accrochage de travaux de l'artiste, exclusivement de toiles, de pas trop grande taille en général, et qui sont des portraits ou disons-le de têtes.
La technique est mixte : encre, acrylique, pastel à l'huile et feutre. Le fond est toujours uni et lisse : gris, blanc, ou noir. Les couleurs dominantes des portraits sont le noir, le rouge, le blanc, le gris.
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En entrant, beaucoup de gens doivent penser à Bacon. Ça doit énerver le peintre et il doit en avoir marre qu'on lui dise ça. Il faut dire que Bacon est très connu, même à Nogent-Le-Rotrou.
Il a raison. Si on regarde bien et de près, sa peinture n'a rien à voir avec celle de Françis Bacon.
Juste par exemples : chez Bacon les chairs et les visages sont déformées, les bouches non bâillonnées, les corps sont en situation dans l'espace, ne serait-ce parfois qu'avec quelques lignes. Ce n'est pas le cas chez Laurent Bahanag (sauf dans le tableau que ces deux personnes regardent) dans l'exposition proposée ici par Label Friche.
Laurent Bahanag, peintre français (ancré à Saint-Nazaire) d'origine camerounaise et qui expose depuis une dizaine d'années (Paris, Beauvais, Lyon, Saint Germain en Laye, Cherbourg...) (voir les Souvenirs d'expos sur son site), déclare modestement : "Je peins ce que je peux mais pas ce que je veux. De ce dilemme naissent des personnages sans âge. A travers eux ma part d’ombre s’éveille du tréfond de ma conscience. Peindre préfigure un exutoire, synonyme d’allégresse ou de tristesse, sans aucun message, tout en m’aidant à chasser les démons ou à libérer les anges de mon esprit dans une quête intangible mais salvatrice."

Les visages exposés peuvent impressionner.
Personnellement je suis surtout touché (intrigué ?) par leur regard. La pensée ou le ressenti personnels qu'on ne peut s'empêcher d'y "plaquer", mais qui ne sont pas dits, font se demander s'ils portent un message et lequel.
Yeux grands ouverts , mais sur quoi ?
Le regard des trois tableaux déjà aperçus :
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Sur la page qui ouvre son site, n'a-t-il pas d'ailleurs choisi une citation éloquente : "Les yeux sont les miroirs de l'âme. On y contemple notre future destinée, qui selon nos choix, sera l'enfer, le purgatoire, le paradis, s'ils existent ! ".
Au voyeur que nous sommes tous d'y voir donc chacun ce qu'il a choisi (ou lui fait plaisir) !

Même si Catherine Plassart, chroniqueuse du web magazine Art Point France Info affirme au contraire que : "la peinture de Laurent Bahanag est celle d’un artiste profondément marqué par la souffrance. Il peint l'inquiétude ou la stupeur de l’homme face à sa destinée d’éternelle proie dans un univers sans narration. Ici, les tourments, les espoirs, les fantasmes, ne peuvent se dire. Bâillonnés les personnages paraissent étouffés un cri de douleur et d'angoisse. L'intensité émotionnelle de leurs regards suggère des visions vertigineuses en relation avec des réalités brutales et terribles." Je la trouve assez légère et un peu catastrophiste, ce qui est certes à la mode par ces temps de crise.
Par sa technique et ses fonds lisses, les peintures de Laurent Bahanag ne sont pas si "lourdes" ni "noires" que cela, et plus important, peut-être pas si figuratives que cela non plus.
Si on les cherche, les couleurs sont là, ainsi qu'un certain côté abstrait. Il suffit de s'approcher, et retrouver ses gestes.
Exemples de détails (toujours sur ces mêmes trois tableaux) :
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Je ne suis pas sûr que les rectangles de peinture devant la bouche soient des baillons (on sait l'utilisation du bâillon militant depuis 68 dans toutes les images de l'art jusqu'à la publicité, et on les a forcément dans nos têtes).
Je ne suis pas sûr que le rouge et le noir soient ici les couleurs du sang, du désespoir. Je crois l'artiste quand il dit qu'il peint non pas ce qu'il veut mais ce qu'il peut. Peut-être parfois préfère-t-il tout simplement couvrir la bouche pour ne pas avoir à la peindre et utilise-t-il le rouge comme une couleur de vie et d'énergie.
J'aimerais bien rencontrer Catherine Plassart, elle écrit bien : Dépourvus d'innocence et d'illusion, ils sont seuls. Le drame les dépasse. Un malaise s'installe. Une conscience lance un appel dénonciateur, condamnation de la violence et du mal.

Je préfère ce que dit le peintre : "Peindre préfigure un exutoire, synonyme d’allégresse ou de tristesse, sans aucun message, tout en m’aidant à chasser les démons ou à libérer les anges de mon esprit [...]"
Quelque chose m'a intrigué : le nombre qui figure encadré sur ses tableaux. Numérotage ? (pas possible qu'il ait déjà fait 61013 tableaux ! ) Code secret ? Mémento ?
C'est peut-être sans intérêt mais c'est ce genre de choses que je ne comprends pas qui me plaît.
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Je n'ai montré dans cette page que trois tableaux. Il y en a presque une vingtaine à voir dans la galerie In Situ.
Si certaines personnes sensibles ont peur de voir quelque chose de noir ou de démoralisant, qu'ils regardent la tête des visiteurs ce soir là.
La peinture de Laurent Bahanag ne semble pas les avoir abattus ni désespérés.

A ma connaissance, il n'y a pas eu de suicide à Nogent-Le-Rotrou depuis samedi dernier.
Passez donc de la pénombre à la lumière.