J'avais dans 
une page précédente, montré que le voyage décrit par Dante, 
		de l'enfer en passant par le Purgatoire pour finir par le Paradis, avait au fil du temps suscité de nombreuses tentatives d'illustrations
		 ou de représentations, toutes plus surprenantes ou folles les unes que les autres. 
		 Mais lors de cette recherche, (accompagnée en temps réel par ma lecture de ce qui n'était au départ, selon le premier titre même de Dante, 
		
		 qu'une 
Comédie, puisque cela se termine bien), je découvris grâce à un ouvrage aussi récent que remarquable,
		  une histoire que je ne connaissais absolument pas et que je trouve folle.
		  
		  
Il faut bien comprendre que le voyage de Dante a tout ce qu'il faut pour que le lecteur  puisse 
le prendre aussi au premier degré, comme si c'était un 
		  vrai voyage, et ne puisse
		   s'empêcher de 
se le représenter.
 Les descriptions et indications sont nombreuses, précises et semblent donc réelles.
		    Dans cette visite, il existe un côté
 reportage, avec prises de notes, enregistrement des sons, des discussions,  des musiques, des odeurs, du ciel, 
			des nuages, du vent et paysages rencontrés :
			
			 forêt sauvage, arbres feuillus, roches, gradins, marches, escarpements rocheux, corniches, montagnes, collines, grottes, abîmes, puits,  plage, fleuves
			  (l'Achéron, l'Eunoé, le Léthé), lac gelé (la Caïnie), marais (celui du Styx), mais aussi cité (cité de Dité, avec 
			 mosquées, tours, remparts).
 Pour parvenir à bon port, connaître les passages dangereux, les chemins périlleux,
			  éviter ou dépasser les obstacles (mur de feu), 
			 Dante à des guides (Virgile, Stace, Béatrice) dont il rapporte les conseils, mises en garde ou commentaires. 
			 
			  
			 
			  Ce voyage demande une solide constitution physique, et utilise de nombreux moyens de transports possibles et demande courage et force : marcher, descendre des parois glissantes,
			  gravir des marches, utiliser des barques (comme celle de Phlégias pour traverser le marais du Styx, ou celle propulsée par un ange pour traverser l'océan 
			  vers l'île du purgatoire), chevaucher 
			 sur le dos d'un centaure (Nessus), se faire porter par un géant (Antée), sans parler quand Virgile, Dante s'évanouissant souvent, doit le porter dans ses bras, 
			 ou le pendre à son cou pour glisser le long des poils de Lucifer !	
			 
			   

  
			 
			 
			 		
	                 
		            Dante emporte au premier degré son lecteur dans une grande aventure, 
			 (ce qui explique aujourd'hui les  jeux vidéos et films s'appuyant sur le côté fantastique
			  du voyage dans l'Enfer) ce qui n'empêche pas bien sûr, à un degré supérieur, de l'entraîner dans une quête
			  spirituelle et philosophique
			  semée de symboles
			  et d'allégories. Rien d'étonnant donc que de tous temps des artistes aient cherché à illustrer ce voyage !   Dante savait ce qu'il faisait 
			  en distribuant sans avarice des indices de réalité ! 
			  Il nous donne
			   l'heure, indique quand il tourne à gauche, quand il faut
			   presser le pas parce que la nuit tombe... Bref, on peut mieux croire ce que nous raconte Dante !   | 
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		         Mais ce que j'ai appris grâce à ce livre récent ( Leçons sur l’Enfer de Dante, Galilée, 
			   préfacé, traduit et annoté par L. Degryse, postface de J-M. Lévy-Leblond, éd. Fayard, novembre 2008), c'est que l'on avait de tout temps
			    essayé de prendre le texte à 
			   la lettre pour mesurer,
			   et calculer les dimensions exactes, y compris la forme et les volumes de l'Enfer, de ses cercles, mais aussi la taille de Lucifer et j'en passe ! 
			  Ce livre fait connaître deux manuscrits de Galilée
				 ( Deux Leçons sur la forme, le site et la grandeur de l’Enfer de Dante) longtemps demeurés dans l'oubli, ils datent de 1587, et qui
				  ne furent redécouverts qu'au milieu du XIXè siècle,
				  et traduits que
				  récemment 
				 en français (pour ce livre par Lucette Degryse), d'où son intérêt, surtout par
				 son iconographie et la postface brillante et passionnante de  Jean-Marc Levy-Leblond.  | 
	              
                 
 
			   		
			 				  
			 		   
	                   
		               Galilée n'a que 24 ans quand il accepte une commande du consul de l'Académie Florentine. Ce choix s'explique  parce qu'il est
				  déjà célèbre comme géomètre et mécanicien, mais aussi comme amoureux des joutes intellectuelles : il parait être l'homme idéal qui n'aura pas peur de
				  trancher 
				et donner son avis face à deux thèses qui agitent la ville de Florence et qui s'opposent
				  sur l'Enfer décrit par Dante,  :  
				 - celle d'Antonio Manetti (florentin qui avait donné son modèle en 1506) 
				 - celle d'Alessandro Vellutello (1544).  
				 Disons-le tout de suite, la polémique elle-même ne nous intéressant pas, 
				 Galilée penchera vers le modèle de Manetti (ce qui est étonnant puisque ce dernier donnait à l'enfer 
				un volume mille fois plus grand que celui de Vellutello, ce qui aurait du le faire douter : 
				- primo une telle cavité au centre de la terre aurait du faire s'effondrer la voûte
				 terrestre, 
				 -et secundo, on peut se demander comment Dante aurait pu parcourir une telle distance (quelques milliers de kilomètres) en seulement 3 jours pour
				  l'Enfer (d'après ses indications chronologiques, Dante commence en effet son périple le Jeudi saint, 
				 7 avril 1300, pendant la nuit, et le finit au cours du mercredi de Pâques, 13 avril de la même année !)  | 
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				C'est une oeuvre de circonstance, de jeunesse, et tous les calculs de Galilée sont faux (il reviendra d'ailleurs sur ses déclarations plus tard, 
				 quand il aura perfectionné ses connaissances en mathématique, mais surtout en physique !) et c'est cela qui est passionnant, outre  
				 qu'il montre que la poésie n'est pas l'ennemie des sciences. (Et n'oublions pas qu'il avait dit que la nature était écrite dans un grand livre,
				  ce qui n'était pas nouveau,  
				 mais que c'était en langage mathématique, ce qui ça était une première).
				 
				 
				 
				  Mais, pour nous divertir ce beau dimanche d'avril,  voyons juste deux ou trois points précis sur lesquels 
Galilée a travaillé, et pour certains comment il a fait, le plus sérieusement du monde;
				  
				  
1- Le volume de l'Enfer. Facile. Galilée trouve, je passe cette fois-là sur les calculs, que c'est 
				  une portion de la sphère terrestre avec un angle au centre de l'ordre de 60°. Ses calculs montrent que l'Enfer occupe 1/14 de la sphère terrestre. 
				  C'est une erreur. Pour tenir le plafond de cette immense cave, l'écorce terrestre doit faire au moins le 1/8 du rayon. Galilée "oublie" que les efforts n'augmentent pas comme 
				  la dimension des objets, mais comme leur volume.
				  Faut dire qu'aujourd'hui ça fait bien rigoler, car juste au passage, signalons que l'on va de toute façon abandonner assez vite 
				  cette position de l'enfer au centre de la Terre, car ça faisait vraiment 
				 trop problèmes pour le croire :
				 - dès 1590, un jésuite espagnol, 
J.Ribera, propose que l'Enfer soit situé dans la Lune ! Il affirme qu'il mesure 200 miles, ce qui semble exagéré
				  à un autre jésuite, 
L.Lessius, flamand celui-là, puisqu'avec une telle dimension l'Enfer pourrait contenir 800 milliards d'âmes,
				  ce qui est beaucoup trop, vu la population de la Terre, même estimée depuis le début (100 milliards) !	
				  - 
William Whiston (1667-1752), théologien et mathématicien anglais, successeur de Newton à sa chaire à Cambridge,
				  	a une meilleure idée : l'Enfer est situé dans les comètes.
(objets néfastes qui font peur, et qui oscillent entre le froid et le chaud...)!
			 	  - 
Tobias Swinden (1659-1719), clergyman anglais, pense lui que l'Enfer est situé dans le Soleil... 
				  	
				  
				  
	              
		          2- La forme des cercles de l'Enfer, pour être précis la forme des bords !  Le problème est bien précis : "L'Enfer de Dante est conique, 
				  cela s'entend, mais ses gradins présentent-ils 
				  des déclivités légèrement pentues, ou rigoureusement escarpées ?". 
				  L'argumentation de Galilée en faveur du modèle de Manetti semble logique mais ne fonctionne pas avec la 
				  gravitation qui ferait effondrer de telles terrasses. Il est intéressant de voir comment
				   Galilée arrive pourtant à la justifier avec quelques vers de Dante.	  | 
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				   C'est d'ailleurs aussi bien chez 
Gustave Doré que chez 
Botticelli la solution adoptée. Dante et Virgile passent
				    toujours d'un cercle (ou d'un bolge) à l'autre
				    par des passages bien précis, des portes, des ponts etc...le reste étant constitué de murailles verticales infranchissables ! 
					Pas question de revenir en arrière ou de changer d'étage pour souffrir moins : 
pas de resquilleurs en Enfer !
					
					
 
 				   
             3- La taille de Satan. .
 Alors ce calcul-là, il est formidable, comment fait-il ça ? 
			Je rappelle que Dante ne voit que le haut du corps du diable puisque le reste est immergé dans un lac gelé :
					 
Là l'empereur du règne de douleur
					 sortait à mi-poitrine de la glace;
					 et ma taille est plus proche de celle d'un Géant
					 que les géants de celle de ses bras :
					 tu vois donc par là quel doit être le tout
					 qui correspondrait à telle partie. (Chant XXXIV) 
					 On dirait, que le tutoiement provoque et lance un défi, à travers le temps, à Galilée ! 
			
			
			
			En partant de données concernant un géant (Nembrot) décrit dans un passage précédant, Galilée en arrive à trouver pour 
			 Lucifer d'une taille de  2000 brasses florentines, ce qui fait quand même plus d'un kilomètre de haut. Suivons-le, c'était facile à trouver : 
			 
			 		   
			 
			 
			 
			 
			 (que ceux que ça intéresse, lisent l'extrait publié dans un long et excellent article
			  du 
Magazine littéraire, 
en ligne  ici)
			 
			 
			 
			 Bien sûr cela fait rêver et l'erreur est manifeste, aucun squelette ne pourrait maintenir un tel corps. Mais comme le dit très bien Bernard Maitte 
			 (Université de Lille 1) dans sa remarquable étude (
en ligne ici), c'est un des intérêts de ces études, de voir comment Galilée a
			  profité de ces erreurs-là pour les corriger plus tard, et 
			 parfaire ses connaissances...et sa réflexion.
			 
 Une sorte de leçon : il faut calculer la hauteur du diable avant de (ou pour ?) devenir un génie. 
				
 
				(à suivre)