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Mercredi 5 janvier 2005 Les réactions à mes deux jours (3
et 4 janvier) de début de bilan (j'ai pas dit dépôt)
sont encourageantes
et pleines de compréhension. Serais-je donc quelqu'un finalement de normal ?
Je continue un peu : ce qui me pose problème est en fait la nature de ce travail quotidien. Est-ce de l'écriture ? du commentaire ? un exercice de style ? un passe-temps ? une coquetterie facile ? une drogue ? Dans ce journal est-ce que je parle aux gens ou est-ce que je leur écris ? Quel est l'écart ? Ce travail est-il vraiment à part et séparé du reste de mon travail d'écrivain et influence-t-il mon écriture ? Ce serait dommage en effet que je me mette à écrire comme je parle parfois aux lecteurs du journal. "Écrire ce n’est ni plus ni moins que le contraire de parler ; on parle dans l’urgence d’une nécessité momentanée, et en parlant nous nous constituons prisonniers de ce que nous avons énoncé tandis que dans l’acte d’écrire résident libération et permanence - la libération ne se trouve que lorsque nous arrivons à quelque chose de permanent. Sauver les mots de leur instantanéité, de leur être transitoire et les conduire par notre réconciliation vers le perdurable, c’est la tâche de celui qui écrit. " Maria Zambrano Ce journal est-il témoignage, recherche d'identité, appel au secours ? bricolage ? ou, comme je posais la question hier soir, un "tout dans le tout" (comme un ami me l'affirme par mail ce matin en ajoutant "et réciproquement" ? Est-ce que cette forme de travail est bien adaptée à ce que je cherche ? "C’est que l’écrivain n’a pas à se poser lui-même comme sujet bien que ce soit de lui-même qu’il tire ce qu’il écrit. Extraire quelque chose de soi-même est tout le contraire de se poser soi-même comme sujet. Et si le geste d’extraire de soi avec assurance fait naître l’image juste parce qu’elle est transparente à la vérité de l’écrit, poser avec une inconscience vaine ses propres passions devant la vérité, la ternit et l’obscurcit. " Maria Zambrano Peut-être dois-je apprendre tout simplement à souffler, à récupérer, à préférer l'endurance plutôt que le sprint, trouver mon rythme, gagner en souplesse. Cette expérience de deux mois, très positive pour moi, j'en ai déjà fait part plusieurs fois, outre les questions qu'elle me pose aujourd'hui, a un autre inconvénient, à savoir le temps quotidien qu'elle m'exige et me "prend" sur un ou plusieurs autres temps (le temps de lire... le temps du courrier,le temps des occupations matérielles et quotidiennes (lessive, vaisselle, ménage...) mais en particulier et surtout le temps d'écrire le livre commencé et annoncé Quoique à la limite, devant clore la trilogie commencée avec Et la mer disait et Trop rien) Mais le travail quotidien avec des moyens et un temps humains limités, n'est-il pas exactement au cœur de cette tentative de partager ou dire ce qu'on ne peut pas dire de cet illimité de la vie et du monde qui entre en nous et nous submerge chaque seconde ? N'est-ce pas une des raisons d'être de la littérature et une des preuves qu'il s'agit bien d'art ? Cette conciliation diachronie/synchronie qui me triture, n'a t-elle pas trouvé des solutions géniales avec Ulysse et Mrs Dalloway ? |
Le langage est un ensemble de citations.(Jorge Luis Borges) .
Ce sont certains textes qui m'ont aidé à faire le deuil de mon frère Michel, ce sont certains textes qui m'ont consolé de certaines ruptures amoureuses (quand je ne les souhaitais pas ou n'étaient pas de ma décision bien sûr), ce sont des textes qui... La littérature contient plus que ce qui est écrit et que ceux qui ont écrit. Elle contient aussi ce que le lecteur y cherche. J'en ai la preuve encore ce matin avec des textes que m'envoie mon amie Anne.B [« Mais comment veux-tu construire un autre monde si tu ne te donnes pas le temps d'entendre celui dans lequel tu vis, et de comprendre les mécanismes qui y sont à l'oeuvre ? Et tu sais bien que les écrivains sont là pour ça, ce sont des éclaireurs tout de même, qu'est-ce qu'une littérature qui n'éclaire pas l'ombre qui nous talonne ? Qu'est-ce qu'un livre qui ne vient pas te chercher au plus profond du coeur ? et dans l'ombre du coeur, là où tu ne sais pas que tu es parce que tu y es seul ? Comment crois-tu que j'ai grandi, moi ? Alors, laisse-toi le temps d'entendre... tu veux bien ?»]Nous ne verrons jamais Vukovar un livre de Louise L. Lambrichs (qui sera invitée à France Culture dans For intérieur le 30 janvier 2005 “Le livre que je n’écrirai pas” ne cesse en effet de s’écrire de livre en livre, ne cesse de “m’écrire” dans le mouvement infini du livre à la vie : “Si je dis que depuis 1964 ou 1966 (...) ma vie est un livre dans lequel je suis entrée par le plus
grand hasard et que je n’écris pas, on ne me croira pas.” Hélène Cixous
En dialogue avec Bertrand Leclair,
«Illusion et narration» Mon journal Cet assassin, il est des nôtres Par Grégoire Bouillier, samedi 14 août 2004 (Liberation). Lecture à bloquer la respiration. Enfin , sur le site de Jean-Michel Maulpoix, un extrait d'un long texte intense et profond de Hacia un saber sobre el alma, Pourquoi on écrit de la même Maria Zambrano, (traduction Jean-Marc Sourdillon, revue par Jean-Maurice Teurlay): (c'est moi qui souligne bien sûr) "...Mais pourquoi écrire si la parole existe ? C’est que l’immédiat, ce qui jaillit de notre spontanéité, fait partie de ces choses dont nous n’assumons pas intégralement la responsabilité parce que cela ne jaillit pas de la totalité de nous-même ; c’est une réaction toujours urgente, pressante. Nous parlons parce que quelque chose nous presse et que la pression vient du dehors, d’un piège où les circonstances prétendent nous pousser ; et la parole nous en libère. Par la parole nous nous rendons libres, libres à l’égard du moment, de la circonstance assiégeante et immédiate. Mais la parole ne nous recueille pas, pas plus qu’elle ne nous crée ; au contraire, un usage excessif de la parole produit toujours une désagrégation ; grâce à la parole nous remportons une victoire sur le moment mais bientôt nous sommes à notre tour vaincus par lui, par la succession de ceux qui vont soutenir notre attaque sans nous laisser la possibilité de répondre. C’est une victoire continuelle qui, à la fin, se transforme pour nous en déroute. Et c’est de cette déroute, déroute intime, humaine - non pas d’un homme en particulier mais de l’être humain, que naît l’exigence d’écrire. On écrit pour regagner du terrain sur la déroute continuelle d’avoir longuement parlé..." |
Aujourd'hui, j'ai lu sur internet un compte-rendu de
l'
enterrement de Christophe Tarkos. Cela me rend triste, d'autant plus que je venais
de l'entendre après avoir lu le dossier
qui lui est consacré sur remue.net J'ai lu le supplément du journal Le Monde concernant l'année 2005. Sa première page est étonnante, on a l'impression, actualité oblige sans doute, ou comme quoi l'actualité influence notre regard et notre cerveau, que c'est un raz-de-marée qui arrive. |
Deux pages m'accrochent : la page IV et la page VIII. Page IV : "My opinion.com", le triomphe des blogs."S'agit-il d'une mode passagère ou d'une révolution de l'information ?" avec en bas de page un article sur Google où l'on apprend, pour ceux qui ne le savaient pas, que Google conserve en toute illégalité, une copie (cache) de certaines pages qui n'existent plus sur le réseau, même si leur auteur les a supprimées ! Page VIII : L'Agenda 2005. cette page m'effraie car on voit que tous les grands évènements sont déjà programmés, et on peut donc déjà savoir avec quoi, parfois jour par jour, ce que toute la presse, les revues, et autres médias vont nous abreuver pendant des semaines, savoir quelles seront les unes, les modes etc. Par exemple du 5 au 22 février il n'y en aura que pour Boulez (qui a donc intérêt à rester vivant pour fêter ses 80 ans) , à partir du 2 mars jusqu'à fin mai il n'y en aura que pour Picasso et Bacon, quinze jours plus tard ce sera l'expo "de Seurat à Klee" qui prendra la vedette (ah que de numéros spéciaux de Télérama, le Nouvel Obs...en perspective, tournez rotatives...), Le 25 mai, 15 ans après les magiciens de la terre, l'art contemporain africain sera à la mode (titre: Africa remix, je ne plaisante pas), en Juin alors là , branle-bas de combat, ce sera le déluge sur Sartre (qui s'il n'était pas mort, aurait 100 ans), juillet ce sera le Cosi fan tutte de Chereau à Aix en provence. On se précipitera battre un "record d'entrées" à La guerre des Mondes vue par Spielberg et jouée par Tom Cruise en août ou septembre, et du 6 au 9 août, on nous obligera de nous souvenir qu'il y a 60 ans c'était Hiroshima et Nagasaki... Le Monde nous informe même qu'un " rendez-vous attendu de l'année" sera l'exposition du Grand Palais qui ouvrira le 22 septembre (génie et folie en Occident, de Dürer à Kiefer) mais ne se risque pas à parier sur la longueur de la queue ni la météo. La fin de l'année promet avec Dada au Centre pompidou en octobre... Je me sens subitement prisonnier, sans possibilité de choisir ni le menu ni l'écuelle. |
"Voici le monde sensible. Il faut que la parole, ce sixième et ce plus fort sens,
se porte à sa rencontre et en déchiffre les signes. Pour moi, je n'ai de goût qu'en
cette tâche." Yves Bonnefoy. "Qu'ils disent légèreté ou qu'ils disent douleur, les mots ne sont jamais que des mots. Faciles. À de certains moments, devant certaines réalités, ils m'irritent, ou ils me font horreur; et moi à travers eux, qui continue à m'en servir : cette façon d'être assis à une table, le dos tourné aux autres et au monde, et de n'être plus capable, à la fin, que de cela..." Philippe Jaccottet. "C'est le Tout-autre que l'on cherche à saisir. Comment expliquer qu'on le cherche et ne le trouve pas, mais qu'on le cherche encore? L'illimité est le souffle qui nous anime. L'obscur est un souffle; Dieu est un souffle. On ne peut s'en emparer. La poésie est la parole que ce souffle alimente et porte, d'où son pouvoir sur nous." Philippe Jaccottet. |