PREMIER CYCLE (1er nov. 2004 au 8 février 2005) .................................. (100 jours, cf. journal du 8 février)
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Novembre 2004
Décembre 2004
Janvier 2005
février 2005
DEUXIEME CYCLE (9 février 2005 au 21 mars 2005) .......... .................... (jeu de 50 perles de verre)
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février 2005
mars 2005
TROISIEME CYCLE (commencé le 22 mars 2005)
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mars 2005
Jeudi 24 mars 2005
1-Nous avons commencé de tourner autour de la mort de Procris de Piero di Cosimo (que nous surnommons depuis l'énergumène), le 11 mars.

2- Basée sur une histoire d'Ovide (livre VII des métamorphoses) nous y sommes revenus le 15 mars, pour parler d'Ovide, de son texte et des questions que le tableau commence à poser. Occasion aussi de voir l'interprétation de la même histoire depuis jusqu'à aujourd'hui, par les peintres et différents écrivains...

3- La présence d'un satyre et dans le tableau nous a emmené le 17 mars faire un tour chez Claude Le Lorrain et parler du chien Laelaps, présent dans le tableau de Piero di Cosimo.

4- Le 19 mars, après un détour obligatoire chez les satyres et les silènes, nous sommes tombés sur deux autres étonnants tableaux de ce peintre ( Les malheurs de Silène et la découverte du miel), (en saluant au passage Rabelais, Xenophon, Platon et Nabokov).

5- Tout était en place pour pouvoir revenir le 31 mars à la mort de Procris, version Piero di Cosimo.
Premier coup de théâtre : ce tableau n'est peut-être pas un tableau (juste un panneau d'un cassone, coffre offert lors des mariages) et de plus il ne s'inspire pas d'Ovide mais d'un drame de Niccolo da Correggio, Fabula di Cefalo.
De plus le sujet n'est pas la mort de Procris, mais la scène suivante qui n'est pas triste puisqu'on sait que dans cette version Procris va ressusciter et retrouver Céphale. Ce tableau ne serait qu'un cadeau de mariage avec une bonne morale et mise en garde des époux contre les dangers de la jalousie ou d'un amour mal placé...

6- Aujourd'hui : autre coup de théâtre. On n'y est pas du tout. Notre énergumène était vraiment malin.
1- On sait que Piero di Cosimo a été l'élève de Cosimo Rosselli nous l'avons dit, puisque cela explique le nom pris par notre Piero qui a préféré son maître di Cosimo à di Lorenzo comme son père. Rosselli était un peintre de second ordre, nettement moins doué que son élève. Il a travaillé néanmoins à l'exécution de certaines fresques de la Chapelle Sixtine, aux côtés certes de Pérugin, Botticelli, Ghilandaio, Signorelli...
Ci-dessous trois panneaux de la Chapelle en situation puis en détail en dessous : la remise des tables de la loi, le dernier souper, et la traversée de la mer rouge.
Enfin, quand je dis que c'était un peintre mineur, c'est par rapport aux grands car dans le détail, c'est quand même pas dégueu. Par exemple, deux détails de la traversée de la mer rouge ci-dessous ... montrent qu'il y aurait beaucoup de détails à souligner et à commenter...
Maître et élève ont travaillé ensemble plus de 25 ans. Exécutant des travaux ensemble, l'un faisant une partie, l'autre une autre ... On sait très bien par exemple que la fresque ci-contre, à la Chapelle Sixtine aussi, a été peinte par Cosimo Rosselli et son élève Piero di Cosimo. C'est une scène de la vie du Christ, le sermon sur la montagne. Si j'insiste c'est qu'à cette époque l'apprenti était vraiment le larbin dans l'atelier du maître, et partageait avec presque tout son temps . Et c'est où je veux en venir : Cosimo Rosselli était aussi un grand alchimiste.
1- Cosimo Rosselli était un grand initié. Il devait donc dans son atelier chercher comme les autres la célèbre pierre philosophale, but suprême de l'achimie. Il devait passer des heures à faire mijoter je ne sais quoi pour obtenir la célèbre poudre (qui selon sa pureté ne peut être que rouge ou blanche), substance fabuleuse, dont une pincée devait transformer le mercure ou le plomb en fusion en or. Le tout sous les yeux ou assisté par le jeune Piero qui n'en perdait pas une.

2- Les textes sur l'alchimie sont hermétiques et bourrés de symboles, et c'est là qu'il faut une sacrée initiation pour comprendre quelque chose ! Quand on considère une histoire symbolique, il faut toujours y chercher le troisième sens, le sens "hermétique".
L'alchimiste un expert qui doit maîtriser plusieurs techniques:
"L'œuvre au noir", qui est l'art de débarrasser la matière de ses impuretés;
"L'œuvre au blanc", qui permet de fabriquer la pierre blanche transmutant les métaux vils en argent;
"L'œuvre au rouge" qui produit la pierre rouge transmutant le mercure en or.
Le langage alchimique ne peut être dissocié du langage symbolique:
"L'œuvre au noir" est aussi la mort,
"L'œuvre au blanc", la restitution de l'âme au cœur purifié,
"L'œuvre au rouge", la vie spirituelle éternelle.
Notons que les histoires de Vulcain et de Mars sont parmi les plus célèbres et riches de ce point de vue et que la pierre philosophale non seulement est le moyen de réaliser la transmutation du plomb en or, mais aussi une promesse d'éternité.

3- Il ne serait donc pas surprenant que notre peintre Di Cosimo se soit adonné à l'alchimie (ce qui expliquerait qu'il soit resté fidèle à son maître jusqu'à sa mort). Du moins, il est impossible qu'il n'en ait pas été très influencé. Le thème du feu est omniprésent dans ses peintures. Erwim Panofsky allant même à diagnostiquer chez lui un " complexe du feu " névrotique.
Dans cette nouvelle théorie ou vision alchimiste du tableau, la mort de Procris de Piero di Cosimo, ne serait pas un tableau isolé mais ferait partie d'un cycle (le cycle du feu) réalisé pour un riche bourgeois, et qui était une transposition philosophique de l'histoire de l'humanité. Le message est tout autre alors qu'une simple mise en garde contre la jalousie.
C'est dans ce cycle que l'on trouverait (en troisième position) un autre tableau incroyable qu'on n'a pas encore vu : le feu dans la forêt (Forest fire), et les tableaux représentant Vulcain ou même Prométhée, le voleur de feu.
Ce cycle serait basé non pas sur Ovide mais sur le livre V De Rerum Natura de Lucrèce.
C'est bien sûr complètement différent de la version d'Ovide.
On ne connaît en fait que très peu de choses de la vie de Lucrèce. La seule "biographie" qui nous soit parvenue de lui tient en trois lignes. Elles sont de saint Jérôme (fin IVe - début Ve siècle) : "Jeté dans la folie par un philtre d'amour, après avoir écrit quelques livres dans les intervalles de sa folie -- livres que Cicéron corrigea --, il se tua de sa propre main à l'âge de 43 ans".
L'unique poème de Lucrèce, De Natura Rerum, ("De la nature" ou De la nature des choses a failli disparaître : publié après sa mort, par Cicéron, après corrections que son auteur n'avait pas eu, et pour cause, le temps de faire, cet ouvrage gênait le christianisme, il n'en serait resté qu’un unique exemplaire au VIIIe siècle.
Heureusement Lucrèce fut redécouvert à la Renaissance (Montaigne) et mis à l’honneur par les philosophes du XVIIIe siècle. Pour Lucrèce, les divinités, la Providence et les superstitions ne sont que des inventions de l’ignorance et de la peur. Son poème est un appel vivrant à la libération de l’homme.
Juste une petite vision au passage pour ceux qui ne le connaissent pas de Forest fire qui montre une fois de plus le talent de Piero di Cosimo avant de revenir donc à la mort de Procris, version alchimiste
Les arguments pour une version alchimiste du tableau sont nombreux :
-1 Celui qui s'adonne à l'alchimie doit être " réservé et réfléchi " et doit " vivre loin des hommes ". Cette recommandation qu'on trouve dans les traités d'alchimie concorde avec le caractère de " sauvage " décrit par Vasari et parlant de Piero de Cosimo comme étant " un grand amateur de solitude ", n'autorisant personne à la regarder travailler, ni même à balayer son atelier.

-2 La présence des chiens est expliquée : certains alchimistes donnent le nom de Chien à la matière du grand Oeuvre , mais tous connaissent les deux chiennes, l'une blanche, l'autre noire :
- la chienne de Corascène, qui est un des noms du mercure, ou sperme féminin de leur pierre,
- la chienne d'Arménie, qui est un des noms donné au soufre, sperme mâle de leur pierre.

-3 Sur le tableau les deux chiennes se battent et rivalisent, comme l'indiquent leur posture l'une vis à vis de l'autre. Chez les alchimistes aussi :
En s'entredévorant elles signifient que le combat des deux substances de la Pierre, est d'une seule racine; car l'humide agissant contre le sec se dissout, et ensuite le sec agissant contre l'humide, qui auparavant avait dévoré le sec est englouti par le même sec et réduit en eau sèche, et cela s'appelle prendre dissolution de corps et congélation de l'esprit; ce qui est tout le travail de l'Œuvre hermétique.
La présence des chiennes symbolise aussi les deux principes chimiques opposés, solide, volatil, qui s'affrontent l'un l'autre. (l'expérience consistant à les réunir par le feu était une étape importante pour obtenir la pierre philosophale)
La table d'émeraude d'Hermes Trismégiste
-4 Dans les ouvrages savants des alchimistes, la tête du chien symbolise l'inventeur et le patron de leur discipline Hermès Trismégiste , On le dépeint sous des traits humains et l'on parle de son tombeau dans lequel on aurait trouvé, tenue entre ses mains, la Table d'émeraude , qui est devenue le texte fondateur de l'hermétisme. Le «Trois fois grand» (Trismégiste) serait aussi l'auteur, entre autres textes, du Discours parfait et de l'Asclepius, traduits au XVe siècle par l'humaniste italien Marsile Fici.
Les doctrines ésotériques répandues sous son nom ont été réunies dans une compilation, établie du VIe au Xe siècle, sous le titre de Corpus hermeticum
Extrait de la tablette XV de Table d'émeraude : "
Distingue clairement qu'il y a deux consciences en toi. Celle de la dense matière de ta chair et celle de ton être essentiel qui a la faculté d'être attentif à cette chair. Voilà où se situe le centre de ton attention où tu dois installer ton vouloir ardent. "
Voltaire dans son dictionnaire philosophique commence son article HERMÈS, ou ERMÈS, ou MERCURE TRISMÉGISTE, ou THAUT, ou TAUT, ou THOT ainsi :
" On néglige cet ancien livre de Mercure Trismégiste, et on peut n’avoir pas tort. Il a paru à des philosophes un sublime galimatias; et c’est peut-être pour cette raison qu’on l’a cru l’ouvrage d’un grand platonicien.
Toutefois, dans ce chaos théologique, que de choses propres à étonner et à soumettre l’esprit humain!"
...La suite complète ?

Signalons enfin, pour les amateurs de Maître Eckhart un texte qui montre en quoi Hermès Trismégiste l'avait à plusieurs reprises marqué et inspiré : "Parmi les propositions du Livre des XXIV philosophes, parfois attribué à Hermès Trismégiste, il en est plusieurs qui semblent avoir fortement marqué l'imagination de Maître Eckhart. La seconde proposition de ce livre s'articule comme suit: "Dieu est une sphère infinie, dont le centre est partout, et la circonférence nulle part." (Deus est sphaera infinita, cuius centrum est ubique, circumferentia nusquam.)Maître Eckhart non seulement varie sur ce thème célèbre..."
6- Hermès est aussi le messager des Dieux qui guide les morts vers l'au-delà. Et là n'oublions pas qu'on en a un par terre !

7- Les couleurs des vêtements de Procris sont rouge, blanc (couleurs de la pierre philosophale) et or (vers ce quoi elle mène et produit).

8- L'alchimie est aussi la science de l'immortalité. À la mort de la matière succède la résurrection, la libération de l'esprit, la transmutation spirituelle. De la dépouille naît un arbuste , " arbor philosophica ". Piero di Cosimo le peint, poussant juste au-dessus des épaules et du coeur de Procris.

10- Dans de nombreux traités d'alchimie du XVème siècle, , en général dans les dernières pages, on trouve des compositions (position du corps et composition du paysage) similaires à ce tableau.

11- Le satyre symbolise l'être originel, naturel, l'être sauvage, plein de sollicitude bienveillante.

12- Si l'on veut voir un cygne, juste derrière le chien en premier plan, (je dis ça parce que le prof de SVT que je suis aussi, y voit un pélican,) on tombe sur une symbolique alchimiste extrêmement riche. Sorti de l'eau mercurielle ou mer philosophique, il indique le passage de la matière du noir au blanc, étape importante s'il en est une : le passage de "L'œuvre au noir" la mort, à "L'œuvre au blanc", la restitution de l'âme au cœur purifié,

Si on rassemble toutes ces données, le tableau de Piero di Cosimo n'illustre donc plus un drame de la jalousie ni une des milliers d'histoires tirées de contes antiques ou mythologiques.
Il devient le tableau de la victoire de la mort sur la vie, sous les auspices d'Hermès Trismégiste (regard bienveillant du gros chien au premier plan à droite) et avec le concours des forces de la nature incarnées par l' "Être sauvage " dans son décor de plantes et d'animaux complices.